RH cherche job : comment mettre à profit sa transition ?
- Alexis et Philippe
- il y a 13 minutes
- 18 min de lecture
Avec Claude Monnier, RH, co-fondateur du Cercle Phoenix RH

Claude Monnier est DRH depuis plus de 20 ans, avec un parcours riche à travers des secteurs très variés : nouvelles technologies, énergie, cosmétiques, industries culturelles et créatives, développement durable. Il a occupé des postes tant nationaux qu'internationaux, au sein de petites et très grandes équipes RH, construisant ainsi une expertise diverse et non-linéaire.
Actuellement en transition professionnelle, Claude est cofondateur du Cercle Phoenix RH aux côtés de Marie Rouen et Laurent Zermati. Ce collectif rassemble des DRH en recherche d'activité (85% des membres) et des DRH en poste souhaitant soutenir leurs pairs (15%). L'objectif est de créer un espace de solidarité et d'économie circulaire pour accompagner cette communauté dans une logique qui va bien au-delà de la simple recherche d'emploi.
Dans cet épisode du podcast du Human Factor de Yaniro, Claude partage son expertise terrain de ces moments de vulnérabilité professionnelle que beaucoup vivent mais dont peu parlent ouvertement :
RH cherche job : comment mettre à profit sa transition ?
Comment apprivoiser et transformer les transitions professionnelles grâce au collectif ?
Pourquoi ces moments d'inter-job ne sont plus des bugs mais des features inévitables de nos carrières.
Et comment créer des espaces de soutien authentique pour traverser ces périodes
Ce sujet touche une réalité de plus en plus répandue dans nos carrières modernes. Avec des cycles professionnels qui se raccourcissent drastiquement, les moments de transition ne sont plus des accidents de parcours mais des passages obligés. Pourtant, notre société continue de les traiter comme des échecs personnels plutôt que comme des étapes naturelles d'évolution. Entre l'angoisse du vide identitaire, la pression sociale du "qu'est-ce que tu fais dans la vie ?" et l'isolement progressif, ces périodes peuvent devenir de véritables épreuves psychologiques. L'approche collective développée par le Cercle Phoenix propose une alternative : transformer la vulnérabilité en force grâce au partage d'expérience et au soutien mutuel.
LES TRANSITIONS PROFESSIONNELLES : UN TABOU À DÉCONSTRUIRE
Cette première partie explore comment Claude et ses cofondateurs ont identifié un angle mort majeur dans l'accompagnement des DRH en transition, révélant les contradictions de notre rapport social au travail.
Le Cercle Phoenix RH : bien plus qu'un réseau de recherche d'emploi
Genèse du collectif et objectifs
Le Cercle Phoenix RH est né d'un constat simple mais frappant. Comme l'explique Claude :
"Ce n'est pas l'objectif premier du Cercle Phoenix que de permettre à des DRH qui sont en transition de trouver un job. Il y a d'abord des clubs, des collectifs, des associations qui sont très orientés sur cette approche très transformatrice de la recherche d'emploi."
Le projet se positionne bien en amont de la phase opérationnelle de recherche d'emploi. Plutôt que de se concentrer sur les techniques de pitch ou la préparation d'entretiens, l'initiative s'attaque à ce qui se passe avant : comment vivre et apprivoiser cette période de vulnérabilité.
La fonction RH traverse actuellement des transformations majeures - dans sa technicité, sa praticité, mais aussi sa posture. Ces évolutions s'accompagnent d'un turnover accéléré qui touche de plus en plus de DRH, qu'ils quittent leur poste de manière subie ou voulue. Face à ce phénomène, le Cercle Phoenix propose un espace physique et virtuel dédié à l'écoute, au partage et au retour d'expérience.
Une approche "préparation mentale" plutôt qu'un accompagnement technique
Pour illustrer leur philosophie, Claude fait un parallèle avec le monde sportif :
"Si je voulais faire un parallèle avec le monde sportif, par exemple, on est plus sur la préparation mentale que sur l'accompagnement de l'entraîneur le jour de la performance."
Cette approche part d'une observation cruciale : les DRH ont un énorme devoir de réserve vis-à-vis de leur propre perception et de leur santé mentale en entreprise. Ils ne peuvent pas toujours exprimer leurs doutes, même dans les clubs de DRH traditionnels, car il faut rapidement montrer le meilleur de soi-même pour démontrer son employabilité.
Le Cercle Phoenix crée donc un espace où les participants peuvent faire tomber les masques, sans retenue, sans filtre, sans notion de désirabilité sociale. Ils peuvent enfin dire : "non seulement j'en bave depuis que j'ai quitté mon job, j'ai des doutes sur beaucoup de sujets, je ne me sens pas totalement prêt sur ça et ça, et j'ai même de profondes interrogations, voire certaines angoisses sur comment je vais trouver le prochain."
L'identité professionnelle cannibalisée : quand le travail devient notre seule identité
Le poids social du statut professionnel
Claude met le doigt sur un phénomène sociétal majeur : l'hypertrophie de l'identité professionnelle.
La preuve :
"Quand tu vas à un dîner un samedi soir, la première question qu'on te pose en général, c'est qu'est-ce que tu fais dans la vie ? Et la réponse qu'on attend, ce n'est pas : je suis un passionné de poterie le dimanche matin ou le dimanche après-midi, je fais de la pêche à la mouche avec ma grand-mère parce qu'elle m'a appris à faire ça. Non, le sens de la question, c'est qu'est-ce que tu fais dans ta vie professionnelle ?"
Cette cannibalisation de l'identité personnelle par l'identité professionnelle crée plusieurs effets pervers. Le statut social devient massivement construit sur l'identité pro, et cette tendance pénètre même l'identité digitale. LinkedIn en est l'exemple parfait : il est devenu un espace d'autopromotion et de marketing professionnel qui va bien au-delà de la relation B2B traditionnelle.
Illustrations concrètes : quand la réussite ne suffit pas
Alexis illustre parfaitement ces mécanismes avec l'exemple d'un ami entrepreneur qui vient de revendre sa boîte avec succès, atteignant même l'indépendance financière à 35 ans :
"Première chose qu'il me dit, c'est... Bon, pour l'instant, je ne sais pas ce que je vais faire après, mais t'inquiètes, je cherche !
Mais là, si tu veux faire quelque chose qui n'est pas professionnel, tu peux. On s'en fout. Et t'as revendu la boîte il y a deux semaines."
À l'autre extrême, il évoque un ami diagnostiqué Asperger qui a volontairement arrêté de travailler après avoir atteint l'autosuffisance financière. Face aux questions sociales sur ce choix, il répond pragmatiquement : "qu'est-ce que je vais faire de 5 millions de plus dans mon compte en banque concrètement ?" Ces deux exemples montrent la puissance de l'injonction au travail, même quand les conditions matérielles permettraient d'autres choix.
L'isolement et la dévalorisation de l'inter-job
L'expérience personnelle de Claude illustre parfaitement ces mécanismes sociaux. À 56 ans, avec plus de 25 ans d'expérience RH, il constate à quel point il y a quelque chose de dévalorisant dans le fait d'être en recherche active :
"Un DRH de 56 ans qui a travaillé plus de 25 ans dans la fonction RH, c'est qu'il y a certainement un accident de parcours quelque part dans le fait d'être en recherche active et d'être en recherche active sans emploi."
Cette dévalorisation s'exprime de manière très concrète. D'abord, par la disparition progressive du réseau professionnel : le téléphone sonne moins, les invitations à des événements se raréfient. Ensuite, par des exclusions explicites de certains événements "réservés à des gens en poste".
Le phénomène touche même l'identité digitale : beaucoup de personnes en recherche ne mettent pas le petit rond vert "open to work" sur LinkedIn, comme si c'était "une espèce de petite marque sur l'épaule" signalant un problème.
Les paradoxes du marché : trop longtemps au même poste vs partir sans le "coup d'après"
Claude partage une anecdote révélatrice de ces contradictions. Lors de ses rencontres avec des cabinets de recrutement, il s'est vu reprocher à la fois :
D'être resté trop longtemps dans son dernier job (12 ans), avec des questions sur sa capacité d'adaptation
D'avoir pris le "risque" de quitter ses fonctions sans avoir le coup d'après
Cette double contrainte illustre parfaitement l'impossible équation à laquelle sont confrontés les professionnels : comment rester assez longtemps pour montrer sa loyauté, mais pas trop pour ne pas paraître figé ? Comment anticiper le prochain poste sans donner l'impression d'être déloyal envers l'employeur actuel ?
Un changement de paradigme nécessaire : de l'accident à la feature
Les carrières non-linéaires comme nouvelle norme
Le cœur de la réflexion de Claude porte sur un changement fondamental de nos parcours professionnels. Comme il l'explique :
"Ce qu'on sait, et là aussi il y a des statistiques, c'est que justement les carrières professionnelles sont de moins en moins linéaires. Et cette non-linéarité, elle est de plus en plus marquée par des séquences de non-emploi."
Cette évolution nécessite un changement de regard radical. Les 40 ans dans la même entreprise relèvent désormais de la science-fiction, et même 10-15 ans dans le même métier ne correspondent plus aux attentes d'une partie importante de la population active.
Alexis enfonce le clou : "Si on part du principe qu'on est dans une vie professionnelle où on va changer 2, 3, 4, 5, 6 fois de job et peut-être même d'activité, c'est quand même un peu illusoire de se dire qu'on aura toujours le coup d'après."
10-12 mois de recherche en moyenne pour un cadre
Les statistiques de l'INSEE, de la DARES et de l'APEC sont sans appel : un cadre en France met aujourd'hui entre 10 et 12 mois en moyenne pour retrouver un emploi quand il est sans fonction. Cette durée, quel que soit le secteur d'activité et la fonction, remet en perspective l'idée que la recherche d'emploi serait une exception ou un dysfonctionnement.
Face à ces données factuelles, il devient illusoire de continuer à traiter les transitions professionnelles comme des accidents de parcours. Elles font partie intégrante du nouveau modèle de carrière.
L'employabilité externe, un devoir RH trop négligé
Claude assume une responsabilité collective de la fonction RH dans cette situation :
"En tant que RH, j'ai une responsabilité là-dessus. Je n'ai pas toujours très bien préparé mes corps sociaux sur cette notion de non-linéarité, et que l'employabilité externe a souvent été un gros mot."
Parler d'employabilité externe à un collaborateur est souvent perçu comme un signal d'alarme, comme si cela annonçait une séparation imminente. Pourtant, Claude plaide pour un devoir collectif de la fonction RH : parler d'employabilité externe devrait être naturel et bienveillant.
L'enjeu est de valoriser cette non-linéarité et de modéliser ce qu'il appelle des "séquences de vulnérabilité". Si ces périodes de non-emploi sont mises à profit pour se développer (engagements bénévoles, monde associatif, caritatif…), elles peuvent devenir des séquences positives et qualifiantes.
VIVRE LA TRANSITION : ENTRE CONTRADICTIONS ET OPPORTUNITÉS
Cette partie plonge dans la réalité concrète et émotionnelle de ces périodes d'inter-job, révélant la complexité psychologique de ces moments charnières.
Les montagnes russes émotionnelles de la recherche d'emploi
Optimisme sociétal vs angoisse personnelle au quotidien
Claude témoigne avec honnêteté de la contradiction permanente qui habite les personnes en transition professionnelle :
"Je suis pétri de ces contradictions, et que avec une analyse plurifactorielle de ma situation, il y a des moments où je suis très optimiste et je me dis l'occasion est trop belle de réinterroger le monde du travail dans sa globalité, et d'aller même jusqu'à interroger le modèle de société dans lequel je pourrais m'inscrire en tant que DRH. Et puis, il y a des moments où je me réveille la nuit marqué par une angoisse en termes de précarité financière, de prendre soin de ma famille et de considérer que je vais pouvoir honorer les factures."
Cette ambivalence peut coexister dans une même journée. D'un côté, l'opportunité intellectuelle de repenser le rapport au travail, de lire Christophe Dejours (et ses ouvrages sur l'usure mentale et le rapport coût/bénéfice du travail), Gilles Deleuze (et ses "mille plateaux"), de s'interroger sur la place du travail dans nos sociétés. De l'autre, l'angoisse très concrète des factures à payer et de la précarité financière.
Le coût mental du balancier permanent
Ce mélange de pensées contradictoires génère une charge mentale considérable. Claude explique que passer d'une émotion positive à une émotion négative de manière répétée risque de rendre la personne asynchrone par rapport à la dynamique nécessaire pour prendre les bonnes décisions.
La réalité brutale de la recherche d'emploi
Claude décrit sans fard ce parcours du combattant :
"Une recherche d'emploi, c'est majoritairement des absences de réponse. C'est des réponses négatives. Une recherche d'emploi, c'est aussi, après avoir passé des processus de recrutement, finir parfois en shortlist, mais troisième ou deuxième, et recevoir un message, un texto, un coup de fil qui vous dit : vraiment merci infiniment pour le temps que vous nous avez accordé, super processus de recrutement, j'ai adoré les échanges qu'on a pu avoir, mon client a beaucoup aimé votre candidature, mais il a décidé de prendre la personne d'en face."
Pendant des mois, la personne reçoit plus de signaux négatifs que positifs : "on n'a pas retenu votre parcours, on n'a pas décidé de faire avec vous, on va vous demander de rester dehors, de l'autre côté de la porte, on a pris quelqu'un d'autre." Il faut développer un "cuir suffisamment épais" pour traverser ces incertitudes et déceptions répétées.
L'importance de ne pas rester seul face aux contradictions
Face à ce constat, la réponse collective développée par le Cercle Phoenix prend tout son sens. Comme le souligne Claude :
"Si on essaye de répondre à ces questions de manière individuelle, on prend un risque. C'est de faire le balancier entre les extrêmes et de passer d'émotion positive à émotion négative."
Le collectif permet de stabiliser ces oscillations émotionnelles en offrant un cadre où ces contradictions peuvent être partagées et normalisées.
L'isolement, ennemi numéro un du chercheur d'emploi
La disparition progressive du réseau professionnel
Claude décrit un phénomène que beaucoup connaissent mais dont peu parlent ouvertement. L'isolement professionnel commence dès la perte du poste :
"Quand tu es en poste, en fonction du job que tu occupes et de la marque pour laquelle tu travailles, tu reçois un certain nombre de sollicitations, conférences, petits déjeuners, podcasts, d'autres événements divers et variés, et que tu représentes un asset que certains événements professionnels B2B veulent s'approprier."
Dès que le poste disparaît, le téléphone sonne moins, les invitations se raréfient. La personne n'est plus perçue comme un "asset" mais comme quelqu'un en difficulté.
L'exclusion des événements "réservés aux gens en poste"
L'isolement devient parfois explicite et institutionnalisé. Claude raconte :
"Quand toi-même, tu sollicites la possibilité d'aller à tel ou tel événement, gracieusement ou pas, d'ailleurs, on te dit, mais Claude, c'est votre boîte mail perso. Ah, mais oui, vous avez quitté votre ancien employeur. Ah, vous savez, nous, on ne fait que des événements qui sont réservés à des gens en poste."
Cette exclusion renforce le syndrome des sacs de sable mentionné par Claude, en référence aux travaux de Serban Ionescu sur l'isolement du chercheur d'emploi. La personne s'entoure progressivement de barrières protectrices qui l'isolent encore plus du monde professionnel.
Le décalage avec le rythme social habituel
Un aspect souvent négligé mais très déstabilisant : le décalage temporel avec la société. Claude l'exprime simplement :
"Je m'aperçois que je vais courir à 10 heures le matin et faire mes courses à 15 heures de l'après-midi. Ça ne m'est pas arrivé depuis 12 ans. Je suis en total décalage avec la société."
Alexis confirme avoir vécu cette déstabilisation au début de Yaniro : "j'ai ressenti qui était très très très troublant, c'est la seconde, après avoir créé l'adresse alexis@yaniro.co, où, évidemment, je ne reçois pas de mail parce que je n'en envoie pas." Sa solution ? Le coworking pour "faire société, de retrouver une forme de rythme".
Retrouver utilité et activité hors du salariat
L'être humain, animal grégaire et d'activité
En référence aux travaux de Jeremy Lamri sur l'économie quaternaire et l'exemple de l'île de Nauru - qui a expérimenté grandeur nature une forme de revenu universel sans activité avec des résultats désastreux - Claude développe une réflexion sur nos besoins fondamentaux :
"Nous sommes des animaux de mouvement. Cueilleurs, chasseurs, éleveurs, comme on veut, mais nous sommes des animaux de mouvement, nous sommes pédestres. Et un deuxième aspect, c'est qu'on a cette logique d'utilité."
Cette double nature - grégaire et active - explique pourquoi l'isolement ET l'inactivité sont si destructeurs durant les transitions professionnelles. L'être humain est programmé pour participer, améliorer, créer, innover. Claude ajoute : "Pour moi Wall-E c'est une dystopie, c'est pas une utopie."
Les formes alternatives d'engagement (bénévolat, associatif, économie quaternaire)
La réponse ne passe pas forcément par une activité salariée ou entrepreneuriale. Claude prône une approche plus holistique :
"Cette notion de développement comme la notion d'activité, elle est non linéaire. Il y a un temps de sommeil, il y a un temps d'activité physique, il y a un temps d'activité intellectuelle."
Cette asynchronicité permet d'imaginer des séquences alternées entre "je suis en poste et je produis" et "je ne suis plus en poste et je contribue à la vie en société - au-delà de cette relation purement transactionnelle avec un salaire".
L'engagement bénévole, associatif ou caritatif peut parfaitement répondre à ces besoins d'utilité et d'activité, dans une logique de progrès social qui ne passe pas par le productivisme traditionnel.
Le Cercle Phoenix comme exemple d'utilité sociale sans emploi
Claude illustre parfaitement cette philosophie à travers son engagement dans le Cercle Phoenix :
"M'occuper avec mes deux autres fondateurs de 165 DRH qui sont en transition professionnelle, c'est un sacré job. Et je reçois beaucoup plus que je donne. C'est-à-dire qu'en termes d'estime de soi, de confiance en moi, de reconnaissance et de me sentir très utile alors que je suis sans emploi, eh bien, ça me prépare vraiment bien."
Cette utilité sociale sans contrepartie financière redonne sens et confiance en soi. Elle permet de se présenter aux entretiens non pas comme "un type à 56 ans qui a perdu son emploi", mais comme quelqu'un qui contribue activement à sa communauté.

LE COLLECTIF COMME SOLUTION : TRANSFORMER LA VULNÉRABILITÉ EN FORCE
Cette dernière partie explore les solutions concrètes développées par le Cercle Phoenix et ouvre des perspectives sur de nouveaux modèles de compétences et d'accompagnement.
La puissance du collectif pour surmonter l'isolement
165 membres en deux mois : la preuve d'un besoin massif
Le succès immédiat du Cercle Phoenix révèle l'ampleur des besoins non satisfaits. Comme l'explique Claude :
"Nous avons aujourd'hui 165 membres actifs au sein du Cercle Phoenix, en un peu moins de deux mois d'existence. Ça prouve à quel point, lorsque cette idée a été partagée au travers d'un simple post LinkedIn, finalement, ça répondait à quelque chose qui était attendu par cette communauté."
Cette croissance organique et rapide confirme que l'isolement des DRH en transition n'est pas un phénomène marginal mais une réalité massive. D'ailleurs, le collectif a même reçu des sollicitations d'autres fonctions : directions marketing, commerciales, logistiques souhaitent développer leurs propres "Cercles Phoenix".
Le co-développement et les groupes de parole
La méthode s'inspire directement des groupes de parole utilisés dans d'autres contextes de vulnérabilité :
"Je pense au groupe de parole lorsqu'on subit du harcèlement ou lorsqu'on subit un syndrome post-traumatique, ça marche. Et pourquoi ça marche ? Parce que nous sommes des animaux, qu'on a un petit instinct un peu grégaire et que faire société, c'est quand même à un moment se remettre ensemble."
Le principe est simple mais puissant : créer un espace où les participants peuvent partager leurs émotions sans risque qu'elles soient utilisées contre eux. Cette réciprocité et cette synchronicité des émotions créent une dynamique régénératrice plutôt qu'épuisante.
Oser dire sa vulnérabilité sans masque ni filtre
L'un des apports majeurs du collectif est de permettre l'expression authentique des ses difficultés. Contrairement aux clubs de DRH traditionnels où il faut montrer le meilleur de soi-même, le Cercle Phoenix autorise la confidence totale :
"Faire tomber les masques, comme le dit Marie, sans retenue, sans filtre, sans notion de désirabilité sociale, pour dire, vous savez quoi, non seulement j'en bave depuis que j'ai quitté mon job, j'ai des doutes sur beaucoup de sujets."
Cette libération de la parole s'avère thérapeutique et prépare mieux aux défis de la recherche d'emploi. Claude fait le parallèle avec une rupture amoureuse : il faut pouvoir confier ses sentiments de perte à quelqu'un pour se préparer à repartir dans une dynamique positive.
Des résultats concrets déjà observables
Témoignages de membres : "ça sauve ma semaine"
Malgré la jeunesse du projet, les retours sont déjà probants. Claude partage des témoignages authentiques :
"Les retours, les messages dans le chat, les messages sur le WhatsApp général, les commentaires qu'on peut avoir sur LinkedIn, c'est de dire : ça sauve ma semaine."
Les sessions Pulse - 45 minutes tous les lundis matin à 9h - créent ce que Claude appelle une "unité de temps, de lieu et d'action", référence à la tragédie grecque. Ces moments collectifs permettent de remettre de l'équilibre là où il y avait des "abîmes de doutes, d'angoisse et d'anxiété".
Claude évoque d'ailleurs les travaux de Boris Cyrulnik sur le "point zéro" et son "analyse civilisationnelle sur la naissance de civilisation et la déchéance de civilisation" pour expliquer cette dynamique : "Le monde du travail dans lequel on est aujourd'hui, il y a quelque chose qui relève de la tragédie grecque."
Le retour d'estime de soi grâce à l'utilité collective
L'impact sur l'estime de soi est particulièrement notable. Les participants découvrent qu'ils peuvent être utiles même sans emploi :
"La valeur des membres du cercle n'a rien à voir avec le statut d'emploi. Tu es une aussi bonne DRH aujourd'hui n'étant pas en poste que tu étais une excellente DRH quand tu étais en poste il y a 15 jours, et que tu seras une excellente DRH quand tu seras en poste la semaine prochaine."
Des témoignages marquants émergent régulièrement : "Ça fait six mois que je n'étais pas sorti de chez moi pour des raisons professionnelles et je commençais à avoir de plus en plus un sentiment de honte." Le collectif brise cet isolement et redonne confiance.
Sessions Pulse et création de rythme
Les sessions Pulse répondent à un besoin structurel : recréer du rythme quand les repères habituels disparaissent. Ces rendez-vous réguliers permettent de :
Maintenir un lien social professionnel
Recevoir des contenus adaptés aux besoins des DRH en transition
Créer une dynamique collective positive
Éviter l'isolement total
L'organisation même de ces sessions - lundi matin 9h - recrée symboliquement le rythme professionnel tout en l'adaptant à la situation des participants.
Vers un nouveau modèle : le marginal sécant et les métacompétences
Repenser les compétences comme des flux plutôt que des stocks
Claude propose une révolution conceptuelle majeure dans l'approche des compétences :
"Nous avons beaucoup évolué, discuté et échangé dans le monde du travail ces dernières décennies sur la notion de compétences. On les a souvent abordés comme des stocks, à savoir quelque chose dont on dispose à l'instant T, un portefeuille de compétences, or quand c'est un stock, c'est figé, c'est posé quelque part, ça consomme de la place, et puis ça a un degré d'obsolescence."
Il préconise de passer des compétences-stocks aux métacompétences-flux. Cette approche dynamique reconnaît que les expériences de vie développent des capacités transférables, même si elles ne sont pas diplômantes ou certifiantes. L'expérience de recherche d'emploi elle-même devient qualifiante :
"Ce que je partage avec toi, Alexis, c'est que je trouve que c'est une expérience qui, dans un parcours RH, apporte en termes de compétences, de métacompétences, de relations, en termes de statut social et de gestion de ses propres émotions, un capital extrêmement important."
L'exemple des aidants : de la vulnérabilité à l'atout
Claude illustre cette philosophie avec l'exemple des aidants familiaux, en référence aux travaux du Cercle Vulnérabilités et Société (Édouard de Hennezel, Thierry Calvat et Tanguy Châtel) :
"Il y a encore quelques temps, lorsqu'on parlait des gens qui étaient des aidants, on considérait que finalement, c'était un problème pour leur vie à l'intérieur d'une entreprise. Aujourd'hui, il y a beaucoup de travaux qui commencent à produire, qui démontrent à quel point les aidants et les pairs aidants, c'est des gens qui ont développé des métacompétences."
Ces personnes développent des capacités de prise de décision, de gestion de l'urgence, de résilience qui sont précieuses en entreprise. La vulnérabilité devient ainsi un atout quand elle est reconnue et valorisée.
Perspectives futuristes : l'IA et la normalisation des transitions
Une dimension prospective importante émerge des échanges. Avec les ruptures technologiques à venir, notamment l'IA qui rend certaines compétences obsolètes, ces situations d'inter-job pourraient devenir la norme. Alexis évoque cette possibilité : "On peut tout à fait imaginer un monde dans lequel l'interjob prend la majeure partie du temps de notre carrière."
Cette perspective renforce l'urgence de repenser notre rapport aux transitions professionnelles et de développer des modèles d'accompagnement adaptés.
Quatre postures face au changement systémique
Face à ces défis, Alexis propose une grille de lecture en quatre postures possibles :
L'utopisme inutile : critiquer le système sans agir ("ça ne devrait pas être comme ça")
Le cynisme immobiliste : tout accepter sans bouger ("de toute façon, on ne peut rien changer")
Le militantisme / entreprendre : agir pour transformer le système
L'adaptation : jouer dans les règles actuelles tout en gardant un regard critique
Cette grille évite l'écueil du "tout ou rien" tout en reconnaissant que les deux premières postures - utopisme et cynisme - restent improductives. Comme le souligne Alexis, l'utopisme "ne change rien malheureusement" tandis que le cynisme rend "corrosif". Les voies de l'action - qu'elle soit militante ou adaptative - s'avèrent plus constructives, chacun pouvant choisir selon ses capacités et ses envies.
Le rôle de passerelle entre différents mondes (marginal sécant)
Claude termine sur le concept de "marginal sécant", emprunté aux travaux du sociologue Crozier :
"C'est une personne qui évolue dans deux mondes qui n'ont pas de grammaire commune, deux mondes qui n'ont pas de lien, qui n'ont pas de territoire en commun. Le rôle du marginal sécant consiste à mettre en connexion, en collaboration, en coopération, deux univers qui au départ ne se côtoient pas et ne se comprennent pas."
Les DRH en transition développent naturellement cette capacité à faire le pont entre différents univers : celui de l'emploi et celui du non-emploi, celui de la performance et celui de la vulnérabilité, celui de la norme sociale et celui des parcours alternatifs.
Cette hybridation des expériences fait des personnes ayant vécu des transitions professionnelles de véritables "DRH augmentés", capables d'une intelligence situationnelle enrichie. Claude l'illustre par l'effet sur sa pratique future : "maintenant, au moins, je me pose la question parce que je sais ce qu'il y a de l'autre côté" concernant le traitement des candidats non retenus.
Le marginal sécant devient ainsi une figure clé du monde du travail de demain, capable de créer des grammaires communes entre des univers qui, autrement, ne se comprendraient pas. Un rôle d'autant plus précieux dans un contexte où intelligence humaine et intelligence artificielle doivent apprendre à cohabiter et se compléter.
EN CONCLUSION
À travers le témoignage authentique de Claude Monnier, cet épisode "RH cherche job : comment mettre à profit sa transition ?" révèle une vérité largement partagée mais rarement verbalisée : les transitions professionnelles sont devenues la norme, non l'exception. Le Cercle Phoenix RH propose une approche révolutionnaire : transformer ces moments de vulnérabilité en opportunités collectives de croissance et de solidarité.
L'expérience démontre qu'en brisant l'isolement et en redonnant du sens par l'utilité sociale, ces périodes peuvent devenir de véritables accélérateurs de développement. Un enjeu d'autant plus stratégique que l'IA et les mutations technologiques risquent de multiplier ces situations.
Alors, comment contribuez-vous à changer le regard sur ces moments charnières ? C'est en normalisant ces expériences que nous construirons un monde du travail plus humain et résilient.
Vous pouvez contacter Claude sur LinkedIn et vous renseigner ici sur le Cercle Phoenix DRH.
Ressources recommandées par Claude :
Green RH de Michel Barabel - pour repenser la convergence entre RSE et RH
Les ouvrages de Boris Cyrulnik - pour une approche philosophique des sciences sociales
L'Assassin royal de Robin Hobb - pour les amateurs de fantasy

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