Avec Emilie Legoff, CEO de Troops :
Recruter les postes clés de l'entreprise : privilégier l'interne ou l'externe ? Emilie Legoff est la CEO de Troops, une société d’édition de logiciel à destination des groupes d’intérim, et nous partage son expertise.
Emilie a fondé Troops à Lyon en 2016 mais le logiciel n’a été commercialisé qu’en septembre 2019. Le succès a été immédiat et à ce jour, la startup compte déjà 65 collaborateurs qui travaillent tous à distance.
Quand une startup grandit aussi vite que l’a fait Troops, le(la) fondateur(trice) est rapidement confronté à un dilemme : faut-il confier les postes-clés (Chief Officer, Head Of…) à des personnes recrutées à l’extérieur ou à des membres historiques ? C’est pour débattre des pour et des contre de chaque solution qu’Emilie Legoff est invitée ce jour sur le plateau du Human Factor de Yaniro.
Comment créer son board ? L’expérience d'Emilie
En 2010, avant de créer Troops, Emilie Legoff avait co-créé un groupe d’intérim : D2L Group. C’est lors de cette expérience qu’elle a fait ses plus grosses erreurs, et elle a su en tirer les leçons :
La constitution du board chez D2L Group : l'erreur de l'interne
D2L Group a connu une forte croissance sur 10 ans. Il a donc rapidement fallu créer un board.
Comme c’est souvent le cas en startup, les 10 ou 20 premiers membres de l’entreprise sont très liés. Ils travaillent énormément, gagnent peu, tout est à construire et l’équipe vit beaucoup de hauts et de bas…
C’est pourquoi Emilie a naturellement choisi de faire évoluer les membres historiques de son groupe d’intérim pour les intégrer au board, ce qui s’est révélé être une erreur.
“En effet, au démarrage, on n’a pas du tout besoin des mêmes profils que quand on doit gérer une entreprise en très forte croissance”, explique-t-elle.
Au début, l’entreprise a besoin de profils ultra polyvalents et très flexibles. Mais plus elle grossit, plus elle a besoin de personnes très spécialisées (RH, DAF…)
Elle a vécu comme “l’expérience la plus difficile” dans sa précédente entreprise, mais aussi chez Troops, de devoir se séparer des collaborateurs du début. Même s’ils peuvent parfois évoluer vers d’autres postes, c’est rarement dans le board de l’entreprise. Cette situation engendre de la frustration et peut les pousser à partir.
Premier constat : des profils généralistes sont moins compétents et moins heureux dans des situations d’hyper spécialistes.
Deuxième constat : la création d’un board change l’écosystème de l’entreprise.
L’entrée dans le board de personnes extérieures très capées et parfois plus âgées, rend l’ambiance moins décontractée.
Troisième constat : la prise de distance peut être mal vécue aussi. Même si la personne a été intégrée dans le Conseil d’Administration, les règles sont plus strictes et la tolérance est moindre.
Assumer les nouveaux entrants chez Troops
Forte de l'expérience D2L Group, Emilie Legoff a préparé les membres historiques de Troops à l’éventualité que leur collaboration s’arrête.
Avec une équipe de 65 personnes, elle sait très bien qui peut monter sur quel poste ou pas donc si elle a besoin d’un profil particulier, elle cherche d’abord en interne, avec le maximum d’objectivité. Mais la plupart du temps, elle recrute à l’extérieur les postes dont elle a besoin aujourd'hui (par exemple un spécialiste des levées de fonds).
La CEO de Troops assure qu’il ne faut pas se tromper dans le choix des 5 ou 6 personnes qui constituent le board quand l’entreprise entre en phase d’hypercroissance. “Il faut que chaque personne [...] dans le board soit meilleure que moi dans mon domaine, sinon ça ne sert à rien”.
Alors qu’au démarrage, le fondateur emmène son équipe là où il veut, la tendance s’inverse. Soudain, il recrute des personnes qui ont une vision différente de la sienne et vont lui expliquer comment faire évoluer l’entreprise.
Recruter les profils-clés à l’extérieur met-il la culture de l’entreprise en danger ?
Selon Emilie Legoff, quand on commence à structurer l’entreprise et à embaucher des personnes à l’extérieur, on bouscule effectivement les valeurs, et l'ambiance de travail devient moins décontractée. C’est une vraie contrainte.
Elle cite l’exemple des congés, qu’elle ne surveillait jamais et qui étaient pris très librement. Maintenant, chez Troops, la procédure est structurée et il faut poser ses congés au moins deux semaines à l’avance. C’est pénible parce que les employés ont l’impression de perdre leur liberté “mais la structuration de l'entreprise est essentielle"
Quand la constitution d’un Conseil d’Administration met de la distance entre le(la) fondateur(trice) et ses équipes, c’est à lui(elle) de faire le nécessaire pour préserver le lien. Il(elle) peut par exemple être présent(e) en séminaire, participer à des déjeuners informels, à des apéritifs, à des séances de sport avec les collaborateurs. C’est d’autant plus important dans une société comme Troops qui a adopté le télétravail.
Le plus important, c’est que les valeurs et la culture de l’entreprise restent, c’est pourquoi la personne recrutée doit passer le filtre du culture fit.
Les signes qui montrent une erreur de recrutement
A quel moment le(la) founder doit-il s’alarmer des récriminations de ses collaborateurs vis à vis du(de la) nouveau(elle) arrivant(e)?
Le feeling du dirigeant
La limite est assez difficile à fixer. Pour pouvoir imposer une nouvelle recrue à ses équipes, il faut déjà être soi-même convaincu que c’est la bonne personne.
Le CEO doit sentir si les récriminations sont fondées ou si c’est le changement brutal qui crée des résistances. Dans ce cas, c’est à lui d’imposer la direction qu’il veut donner à l’entreprise.
S’il est convaincu d’avoir embauché la bonne personne et si ça ne convient pas à certains collaborateurs parce qu’ils n’ont pas envie d'être encadrés, ils partiront.
C’est arrivé à Emilie. La plupart des employés sont restés et comprennent aujourd’hui qu'elle avait raison de choisir un nouveau manager en externe, mais elle avoue que ça a été dur à vivre, d’autant plus qu’elle est la seule fondatrice de Troops.
Aujourd’hui elle se réjouit “d’avoir des supers collaborateurs qui savent mettre des distances eux-mêmes” et respecter la hiérarchie tout en gardant une bonne ambiance.
Les indicateurs d’évolution (le scoring)
Au-delà du choc que le recrutement d’un Chief Revenue Officier, Head of sale… peut provoquer pour les équipes, il y a un indicateur important, c'est le résultat.
Même si les collaborateurs se plaignent des nouveaux process mis en place, il est facile de leur faire entendre raison si les scores explosent. En revanche, si les équipes souffrent sans résultat sur les performances de l’entreprise, il y a peut-être une erreur de recrutement.
Pour éviter ce cas de figure, il faut prendre en compte les qualités de leadership du candidat.
Attention, comme l’entreprise est en croissance, il faut parfois 2 ou 3 mois avant qu’une restructuration porte ses fruits.
Comment recruter quelqu’un qui a des compétences que le founder ne peut pas évaluer ?
Emilie estime que c’est le cas de figure le plus compliqué. Elle l’a vécu chez Troops parce qu’elle vient du monde de l’intérim mais connaît moins le secteur de l'édition de logiciels.
Elle s’est donc rapidement entourée de spécialistes sur le sujet.
Elle s’est ainsi retrouvée avec deux personnes de très haut niveau sur le logiciel, qui se dénigraient mutuellement.
La situation était délicate parce qu’il ne fallait pas se tromper et que la CEO n’avait pas les compétences pour juger la technologie. Elle a finalement pris sa décision “au feeling” en se référant à ce qu’elle avait : les références d’un des deux spécialistes.
Quant au premier CTO qu’elle avait embauché, elle lui avait fait faire un audit technique sans le lui dire par une personne externe, mais il l’a très mal vécu.
Le CEO peut-il évoluer à l’infini ?
Alors qu’on entend souvent dire, en startup, que des personnes sont “capées” pour un poste, qu’elles n’arriveront pas à évoluer et qu’il faut donc recruter en externe, paradoxalement, on attend des fondateurs qu’ils se transforment aussi vite que leur entreprise.
Les founders évoluent avec l’aide de mentors, de coachs de cercles… Pourquoi d’autres personnes n’en seraient-elles pas capables?
Emilie considère qu’un poste de fondateur est beaucoup moins technique que tous les autres postes. Que la société soit au démarrage ou en phase d’hypercroissance, il a toujours 5 à 10 collaborateurs en dessous de lui et il doit définir la stratégie et faire en sorte que les gens la suivent.
Elle n’est pas convaincue que le poste de fondateur évolue avec la taille de la startup. Au contraire, plus l’entreprise grossit, moins le fondateur a de rôle à jouer.
“Normalement, un bon dirigeant doit pouvoir se détacher complètement de sa structure à terme”
Et Emilie Legoff conclut : “Il faut traverser cette situation le mieux possible même si c’est difficile et se dire qu’au bout du chemin, il y a du kite ou du golf à faire”.
Vous pouvez retrouver Emilie Legoff :
Sur son site www.troops.fr
Sur LinkedIn
Les ressources recommandées par Emilie :
Elle s’appuie sur les réseaux, à la fois sur le fond et sur la forme, et notamment le Galion où il n’y a que des entrepreneurs hors pair et où on apprend énormément.
Troops en quelques mots :
Troops a pour objectif de “phygitaliser” l’intérim, c’est-à-dire à digitaliser le secteur tout en conservant des espaces physiques.
Le logiciel combine :
une application sur smartphone pour les candidats (qui leur permet de recevoir des offres emplois, signer les contrats…);
une application Web-service pour les entreprises utilisatrices (qui peuvent gérer leurs recrutements et faire leurs démarches administratives à toute heure);
un outil de gestion pour les agences d’intérim.
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