Strat RH : se remettre en question pour rester au top
- Alexis et Philippe
- il y a 2 jours
- 12 min de lecture
Avec Corentin Chardin, Talent Lead chez Decathlon (partie Retail France)

Corentin Chardin est Talent Lead chez Decathlon (partie Retail France), entreprise française emblématique, née il y a près de 50 ans et qui a révolutionné l'accès au sport pour tous. Avec 28 années passées dans l’entreprise, le parcours de Corentin est un parfait exemple de la culture Decathlon : mouvement, diversité des fonctions et imperfection assumée. Il a commencé comme stagiaire en magasin, avant de gravir les échelons dans le retail, le marketing et la communication, puis de diriger des filiales d’activités.
Passionné de sport, il pratique notamment le surf de grosse vague - un choix qui illustre bien son goût pour les défis et son approche du management. Aujourd’hui, il pilote des chantiers ambitieux autour du recrutement, de la marque employeur et de l’intégration des talents.
Décathlon compte aujourd'hui 100 000 collaborateurs dans 70 pays (dont 24 000 en France), et possède différents métiers au cœur de son business : distribution physique et digitale, création de marques et de produits. Sa mission ? Rendre accessible les plaisirs et bienfaits du sport au plus grand nombre, avec un rêve ambitieux mais modeste : "prendre notre part au bien-être du monde".
Si l’enseigne est réputée pour son innovation produit, ce qui fait sa force, c’est son ADN tourné vers l’humain et l’évolution interne. Chaque année, elle attire des milliers de nouvelles recrues ! Mais pour continuer d’attirer et de fidéliser ses talents, l’entreprise doit sans cesse se remettre en question. Comme le souligne Corentin, "c'est très dangereux de se considérer comme étant arrivé" (comme en sport) - l'excellence réside justement dans cette capacité à ne jamais se reposer sur ses acquis. Alors…
Strat RH : se remettre en question pour rester au top
À une époque où le volume de candidatures explose, où les attentes des talents évoluent, et où les entreprises doivent jongler entre exécution immédiate et préparation de l’avenir, les réflexions de Corentin sont une source d’inspiration pour les entreprises de toute taille.
Dans cet épisode du Human Factor de Yaniro, Corentin va donc nous partager les 3 sujets clés qui l’animent actuellement :
Comment mieux passer de la candidature au candidat ?
Comment anticiper le futur des métiers sans perdre de vue les réalités du présent ?
Et comment redéfinir la marque employeur pour qu’elle soit plus qu’une simple vitrine externe ?
CHANTIER N°1 - DE LA CANDIDATURE AU CANDIDAT : RECENTRER LE RECRUTEMENT SUR L'HUMAIN
Le premier chantier repéré par Corentin, c'est un changement de perspective assez net : passer d'une logique centrée sur les candidatures à une approche centrée sur les candidats. Ce changement est né de son "rapport d'étonnement" lorsqu’il a pris ses fonctions :
"Décathlon est une entreprise qui est véritablement centrée sur l'humain, qui a en exigence, en valeur, une politique humaine très forte. Et j'ai observé que dans la partie recrutement, on parlait beaucoup en termes de data de candidature, mais pas de candidat."
Cette nuance peut sembler légère, mais elle change tout pour une entreprise qui met l'humain au cœur de sa philosophie.
Un constat frappant : une explosion des candidatures
Eh oui… Car Decathlon attire. Beaucoup. Trop même, au point que la gestion des candidatures devient un défi majeur. En 5 ans, leur volume a été multiplié par 4 : on est passés de 150 000 candidatures à plus de 600 000 aujourd’hui. Attention, ce chiffre est cependant trompeur : candidature ≠ candidat. En effet, certains candidats postulent parfois en masse, jusqu’à 150 fois au sein de la même entreprise !
Simultanément, le nombre de recruteurs a diminué, passant de 2500 à 2000 personnes. Sachant que ces personnes ne consacrent que 1 à 10% de leur temps au recrutement : "Ce sont des responsables de rayons, des directeurs de magasins... Ils ont plein d'autres responsabilités."
Cette évolution crée plusieurs problèmes :
Une gestion du volume ingérable : traiter toutes ces candidatures avec moins de recruteurs devient un casse-tête...
Une perte de personnalisation : Plus il y a de candidatures, plus la capacité à répondre de manière humaine et individualisée diminue.
Des signaux faibles ignorés : Une personne qui postule 20 fois ne devrait pas être qu’un simple dossier dans un ATS. Comme le reconnaît Corentin : 'Ça montre deux choses. Un, leur appétence, leur attractivité. Mais ça montre aussi notre déficience. Puisque à partir du moment où une personne postule 20 fois, il faut la voir au téléphone, il faut la rencontrer. Il y a quelque chose de spécifique, une telle persévérance.'"
Face à cette équation impossible, pas de miracles… "Il faut changer le process".
Les raisons de cette multiplication
Pour Corentin, c’est une combinaison de plusieurs facteurs qui expliquent cette tendance :
Des facteurs technologiques : La technologie a complètement changé la donne, elle a rendu les candidatures plus faciles mais aussi plus impersonnelles.
Simplification des candidatures (one-click apply) : "Si on regarde un petit peu dans le passé, il fallait écrire une lettre de motivation, l'imprimer, souvent la personnaliser, développer un CV papier, aller le déposer ou l'envoyer par courrier. C'était laborieux. Là, c'est en un clic."
Phénomène du "spray-and-pray" : "Les différents candidats pulvérisent leurs candidatures et puis ensuite, attendent."
Démocratisation des plateformes et alertes emploi automatisées.
Des facteurs comportementaux : Les mentalités ont bien changé, avec une nouvelle façon de voir l'entreprise et la carrière.
Recherche accrue de sécurité professionnelle : "70% des actifs sont en veille même quand ils sont en CDI. 60% craignent de perdre leur emploi actuel."
Approches plus opportunistes des nouvelles générations avec des parcours moins linéaires.
Diminution de la loyauté - surtout pour la jeune génération - par exemple : "Même si vous proposez un poste à responsabilité à quelqu'un, il va préférer partir faire les vendanges en Australie avec un copain pendant six mois."
Et des facteurs structurels : Des changements profonds dans le marché du travail et la société rendent le job des recruteurs encore plus complexe.
Nouvelles attentes d'équilibre vie pro/perso : "nombreux dans les jeunes talents considèrent l'équilibre vie pro / vie perso comme critère, si ce n'est pas numéro 1, c'est numéro 2 ou 3."
Incertitudes économiques et transformations rapides des métiers.
Déficit démographique à venir : "d'ici quelques années, il y aura 20% de jeunes en moins."
Vers une approche centrée sur le candidat
Face à tout ça, Corentin propose de revoir complètement la façon d'aborder le recrutement. Pas juste de petits ajustements, mais un vrai changement de méthode qui s'articule autour de plusieurs idées :
S'inspirer des méthodes marketing pour mieux comprendre les candidats : "En marketing, qu'il soit digital ou physique, et en communication, on a des démarches pour essayer de bien identifier, bien comprendre, pas seulement la transaction commerciale, mais surtout le client, le potentiel client, ou le non-client." L'idée, c'est de créer des personas et une candidate journey complète, comme on le ferait pour des clients.
Passer de la logique "dossier" à une vraie relation : "Ma nouvelle obsession, c'est d'être tourné candidat. On peut répondre à une candidature, ce n'est pas la même chose si on répond à un candidat. C'est plus personnalisé." Il s'agit de voir la personne dans son ensemble, pas juste un CV parmi d'autres.
Traiter la persévérance comme un atout : Au lieu de voir les candidatures multiples comme un problème, Corentin propose d'y voir une opportunité : "Cette personne a postulé 20 fois, il y a quelque chose d'intéressant là-dedans." Une attitude qui change complètement la perspective.
Mettre en place des outils qui soutiennent cette vision : "Ça conduit, par exemple, à l'entretien d'un vivier au CRM candidat." L'objectif est de garder le contact avec des profils intéressants, même s'ils ne sont pas recrutés tout de suite.
Voir plus loin que le besoin immédiat : "J'ai envie qu'on ait exactement la même attention pour comprendre les attentes de nos candidats, ou potentiels candidats, et non-candidats, et qu'on aille mieux identifier en quoi on est capable de leur répondre." Cette approche plus fine vise à créer un meilleur match entre ce que cherchent les candidats et ce que Decathlon peut leur offrir.
Ce besoin d’un changement d'approche se fait de plus en plus sentir dans un contexte où le rapport de force évolue :
"Le marché se rééquilibre, le rapport de force, même si je n'aime pas utiliser cette expression parce que ça entraîne une opposition. Mais entre l'offre et la demande qui concerne les entreprises et les candidats, c'est rééquilibré."
Et selon Corentin, ce n'est pas un phénomène passager : "Il n'y a pas de raison de penser que cet équilibre va faire marche arrière. Il va se réajuster, mais si on se projette un petit peu, cet équilibre va rester ce qu'il est aujourd'hui, peut-être aller basculer encore plus du côté candidat."
Ce premier chantier montre bien comment Decathlon essaie de rester fidèle à ses valeurs humaines tout en s'adaptant aux nouvelles réalités du recrutement. Un défi d'autant plus important que l'entreprise se prépare à un futur où les candidats pourraient se faire plus rares…

CHANTIER N°2 - CONCILIER GESTION DU PRÉSENT ET PRÉPARATION DU FUTUR
Le deuxième chantier sur lequel planche Corentin touche à une question que tous les RH connaissent bien : comment jongler entre ce qui doit être fait aujourd'hui et ce qu'il faut préparer pour demain ? Ce défi devient particulièrement corsé dans le contexte économique actuel, disons-le plutôt incertain...
Le casse-tête quotidien : run, build et explore
Au cœur de ce chantier, on trouve la difficulté à équilibrer trois modes d'action :
Run : assurer les recrutements au quotidien,
Build : améliorer les processus qui existent déjà,
Explore : réfléchir aux innovations pour l'avenir.
Corentin ne cache pas sa perplexité face à ce défi : "Je n'ai pas la réponse. C'est comment on arrive à ménager les équilibres entre le run, le build et l'explore." Cette gymnastique est d'autant plus compliquée que son équipe est plutôt réduite : seulement 3 personnes et 4 alternants pour gérer tout ça, sur un périmètre qui comprend 320 magasins et 2000 recruteurs.
"On se doit d'arbitrer entre le run, le build et l'explore. Et surtout quand on a 320 magasins, 2000 recruteurs, vous imaginez bien que notre boîte mail, notre téléphone et le reste sont assez sollicités."
Des changements qui obligent à lever les yeux du guidon
Plusieurs tendances lourdes poussent Corentin à regarder au-delà des urgences quotidiennes :
Le déclin démographique français :
Une prévision de 20% de jeunes en moins dans les années à venir,
ce qui représente un vrai souci pour Decathlon qui recrute beaucoup de jeunes.
L'accélération de l'obsolescence des compétences :
Des savoir-faire qui deviennent caducs de plus en plus vite,
Et un fossé qui se creuse entre la vitesse des évolutions technologiques et celle des formations :
“Aujourd'hui, la demi-vie des compétences diminue, et diminue de plus en plus vite parce qu'il est plus dur pour une entreprise ou une école, une formation, de développer l'escalier pédagogique. C'est plus long que la technologie et les usages. Un exemple frappant ? Il suffit de regarder le taux de pénétration de chatGPT auprès des lycéens et auprès des professeurs des lycéens...'"
Des choix concrets à faire… sans boule de cristal
Ce chantier pousse Corentin à se confronter à des questions très terre-à-terre, comme :
Faut-il continuer à recruter des jeunes demain ? “Est-ce qu'on doit aujourd'hui se mettre en priorité d'être les leaders sur l'attractivité et le recrutement des jeunes, ou doit-on faire évoluer notre fusil d'épaule ?"
Faut-il miser sur les diplômés ou les non-diplômés ? "Si je veux essayer de contribuer à réparer l'ascenseur social en France, je vais privilégier des non diplômés ou des moins diplômés" ;
Quelle place donner à l'IA dans les process RH ? "Est-ce qu'il faut l'intégrer ou pas dans le recrutement ?" ;
Comment garder un œil sur demain quand on est "happé par le court terme" ?
4. Savoir abandonner certaines choses pour en faire d'autres
Pour Corentin, la clé de ce chantier se trouve dans la capacité à faire des choix – parfois douloureux – pour investir dans l'avenir :
"Je crois qu'il faut savoir renoncer à des priorités court terme pour mieux engager le moyen / long terme. Mais c'est extrêmement difficile. C'est difficile de renoncer et d'abandonner des priorités qui nous semblent pourtant évidentes."
Sa stratégie actuelle est plutôt pragmatique : consolider d'abord les bases avant de s'attaquer aux projets plus ambitieux : "On revisite les fondations. Donc pour moi, une des priorités, j'allais dire, c'est le run et le build, en tout cas dans l'exécution, dans le détail. Et c'est avec des fondations très belles et très fortes qu'on arrivera à construire une cathédrale qui pourra investir plus de temps sur l'explore."
Ce chantier illustre bien les tensions que vivent les équipes RH aujourd'hui : l'urgence d'agir dans le présent sans pour autant perdre de vue les grandes transformations qui redessinent l'avenir du travail.
CHANTIER N°3 - REDÉFINIR LA MARQUE EMPLOYEUR EN PROFONDEUR
Le troisième chantier identifié par Corentin concerne un sujet souvent mal compris : la marque employeur. Son ambition est de lui redonner "toute sa place et sa bonne place", au-delà des raccourcis qu'on en fait souvent.
Bien plus que de la pub pour attirer des candidats
Pour Corentin, il est temps de revenir aux fondamentaux : la marque employeur n'est pas juste une question de communication externe :
"La marque employeur est trop souvent considérée comme de la publicité recrutement, ou de la communication poussée recrutement. Mais c'est bien plus large et bien plus important que ça. Et ça commence par l'interne."
Cette approche s'appuie sur un principe simple mais efficace - la fameuse "stratégie bio de Danone" : "Le bien fait à l'intérieur se verra à l'extérieur". En d'autres termes, c'est la preuve avant la promesse. C'est une philosophie diamétralement opposée à celle du packaging marketing : au lieu de promettre puis de tenter de tenir cette promesse, Decathlon cherche d'abord à créer une belle expérience en interne qui rayonnera ensuite naturellement vers l'extérieur.
Deux piliers qui soutiennent tout l'édifice
Dans cette vision, la marque employeur repose sur deux éléments clés :
L'expérience vécue par les clients quand ils rencontrent les équipes :
"100% des candidats, c'est parce qu'ils ont connu des Decathlons en tant que clients"
Les moments positifs avec les vendeurs, les techniciens d'atelier et les autres employés deviennent la première vitrine pour attirer les talents
Le bien-être et l'évolution des équipes :
L'épanouissement des collaborateurs - et c’est logique - se traduit naturellement par des recommandations.
La cooptation, voie royale pour recruter : "dans mes premières observations, alors attention, ce n'est pas statistiquement fiable, ça serait le premier canal de recrutement devant tous les autres"
3. Le parallèle avec les avis clients : un tournant inévitable
Corentin fait un parallèle intéressant avec l'évolution des avis clients qu'il a pu observer pendant sa carrière :
"Il y a une quinzaine d'années, les avis consommateurs étaient considérés comme secondaires, ou n'étaient pas prioritaires. Maintenant, c'est un prérequis absolu."
Il est convaincu que les plateformes comme Glassdoor vont suivre exactement le même chemin, et vont devenir incontournables dans le parcours des candidats. Cette évolution renforce le besoin de travailler sur le fond plutôt que sur la forme.
Les défis d'harmonisation quand on est partout
Pour une entreprise d’une telle envergure, la mise en œuvre de cette vision se heurte forcément à plusieurs défis concrets :
Des métiers et des filières très variés : "10 filières, 400 métiers et 70 pays",
Des différences culturelles d'un pays à l'autre,
La nécessité de créer une histoire cohérente tout en respectant les particularités locales,
Et des moyens limités : un budget marque employeur de 300 000 euros pour l'ensemble du périmètre.
Pour faire face à ces défis, Corentin mise sur une approche collaborative qui cherche à "se mettre d'accord sur ce qui nous rassemble, et être beaucoup plus fort sur ce qui nous rassemble que ce qui nous différencie", même si ce processus est "long et laborieux".
L'imperfection revendiquée : une force en soi
Cette vision de la marque employeur s'inscrit dans une philosophie plus large qui met en avant la remise en question constante :
"L'imperfection nous accompagne. Ne surtout pas, surtout pas se considérer comme les meilleurs, c'est très dangereux en fait de se considérer comme étant arrivé. En fait, on en a beaucoup plus devant nous que derrière nous."
Cette humilité représente, assez paradoxalement, une force distinctive de Decathlon et reflète bien sa culture d'entreprise, inspirée du sport : toujours chercher à s'améliorer, ne jamais se reposer sur ses lauriers, et continuer à se remettre en question. Et elle est parfaitement cohérente avec l'ADN sportif de l'entreprise :
“Le but n'est pas de gagner. Et si on est premier par rapport à nos propres indicateurs, alors comment on fait pour le rester ? C'est déjà dur d'atteindre ces objectifs, mais c'est encore plus dur de les reproduire. On est plutôt sur cette dynamique-là.'"
En conclusion, savoir, en strat RH, se remettre en question pour rester au top
À travers ces trois chantiers, Corentin nous montre que même les "poids lourds" comme Decathlon se remettent constamment en question. Loin des discours grandiloquents, c'est dans cette capacité à rester humble et à questionner ses pratiques que réside peut-être le vrai secret des entreprises qui durent !
Comme il le dit si bien :
"On est systématiquement sur la ligne de départ quelque part. Comme en sport, on se remet en question."
Alors, à vous de jouer : quel chantier allez-vous lancer pour faire progresser votre organisation ?
Vous pouvez contacter Corentin sur LinkedIn
Ressource recommandée par Corentin :
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