Avec Anne Cohen, avocate spécialisée en droit du travail
En droit du travail, ces 4 obligations essentielles s'appliquent dés le premier recrutement.
Anne Cohen est avocate spécialisée en droit du travail. Elle offre ses services de conseil aux entreprises et aux entrepreneurs du secteur de la tech, du numérique et du conseil, en particulier celles soumises à la convention collective BETIC (ou SYNTEC-CINOV), c’est-à-dire la Convention Collective applicable aux salariés des Bureaux d'Études Techniques, des Cabinets d'Ingénieurs-Conseils et des Sociétés de Conseils.
Anne a repéré certains sujets juridiques qui reviennent souvent avec ses clients, et qui sont généralement mal appliqués, alors qu’ils sont importants et peuvent entraîner des problèmes et des sanctions. Voici les 4 obligations essentielles du droit du travail à mettre en oeuvre dés la première embauche.
OBLIGATION N°1 - LES INFORMATIONS À FOURNIR À L'EMBAUCHE
Description des informations à fournir à l’embauche
À l'embauche, l’entreprise doit communiquer certaines informations jugées essentielles au salarié - et depuis novembre 2023, cette obligation a été renforcée, la transmission de certaines données devant obligatoirement se faire dans des délais précis. Certaines informations peuvent être rédigées dans le contrat de travail, mais pas forcément toutes. Nous allons détailler ces informations, en fonction du délai prévu par le code du travail :
Dans les 7 jours suivant l'entrée en poste, les employeurs doivent fournir des informations classiques telles que :
l'identification de l'employeur et du salarié (nom, adresse, etc) ;
le lieu de travail ;
l'intitulé du poste avec la définition des fonctions et la classification (généralement c'est une classification prévue par la convention collective),
la date d'embauche ;
la période d'essai (si elle existe) et ses modalités ;
tous les éléments de rémunération, incluant les salaires fixes et variables, les avantages en nature (voiture de fonction par exemple), et ses modalités de versement ;
et les modalités de durée du travail (35h, forfait jour…), y compris les heures supplémentaires si elles existent.
Il existe d’autres dispositions et clauses spécifiques pour les CDD, pour le temps partiel, pour les salariés qui travaillent à l'étranger, etc, mais on ne va pas rentrer dans tous les détails de ces cas particuliers.
Dans le mois suivant l'embauche, d'autres informations doivent être transmises, notamment :
les droits en matière de formation ;
la durée des congés payés et les modalités de prise de ces congés ;
la procédure en cas de rupture du contrat de travail ;
la convention collective applicable ;
éventuellement les accords d'entreprise (sur tous les sujets comme la durée du travail…) ;
et les régimes obligatoires auxquels le salarié sera affilié : protection sociale, mutuelle, retraite complémentaire, etc.
Modalités de remise de ces informations sur un contrat de travail
On est ici dans le domaine de l’information, donc on peut intégrer certaines de ces informations dans le contrat de travail, mais c’est possible également via d’autres moyens :
au format papier, par courrier,
ou au format électronique.
Pour être sûr de respecter l’obligation légale, il faut être capable de donner la preuve que ces informations ont bien été communiquées à l’employé. Donc, en cas de remise par format électronique (courriel, document Notion…), il faut s’assurer qu’il y ait un accusé de réception avec une signature électronique.
Si l’employeur ne veut pas rentrer dans le détail de certaines infos, il a le droit de se contenter d’un simple renvoi aux dispositions légales. Par exemple pour le droit à la formation, il peut écrire : Madame ou Monsieur X pourra bénéficier d'un droit à la formation dans les conditions prévues par les articles L. 6321-1 et suivants du code du travail. Anne ne le conseille pas, car ce n’est pas très parlant ! Le seul avantage, c’est que si les dispositions légales évoluent, les articles seront, eux, toujours à jour.
Sanctions applicables
Aujourd’hui, il n’existe pas de sanctions directes si l’employeur ne fournit pas toutes les infos aux salariés. Le code du travail dit seulement que si le salarié n'a pas reçu toutes les infos, c’est à lui de faire la démarche d'aller demander à son employeur de les lui donner, et le mettre en demeure si besoin. Et c'est seulement si l'employeur ne le fait pas que le salarié pourrait, en théorie, aller saisir la justice pour se faire indemniser du préjudice subi du fait de ne pas avoir obtenu ces informations.
Pour l’instant - car c’est récent - on ne sait pas trop à quoi pourrait correspondre le préjudice subi d'un salarié quand il n’a pas reçu certaines informations. Mais on pourrait imaginer, par exemple, que si un salarié ne savait pas qu'il pouvait avoir accès au droit à la formation, qu'il a alors subi un préjudice professionnel, un préjudice de carrière. Ou s’il se retrouve en arrêt maladie et qu’à l'embauche il n'a pas eu les infos sur la prévoyance, et ne perçoit donc pas d’indemnités pendant plusieurs mois, il pourrait tirer le fil de ce manquement et obtenir une indemnisation.
Anne conseille donc de rester prudent et de vous protéger, c’est-à-dire vous assurer de votre conformité avec ces nouvelles exigences : vérifiez vos contrats, vérifiez que vous avez donné toutes ces informations, afin d’éviter tout préjudice potentiel pour les salariés. Surtout que modifier un petit peu les contrats, ajouter une petite signature électronique, ce n'est pas compliqué et c'est presque gratuit !
Pour ne rien oublier, il n’existe pas vraiment de template unique car cela dépend de l'activité et du profil de l’entreprise. Anne a cependant synthétisé une check-list des informations à fournir, que vous pouvez retrouver sur ce post LinkedIn.
OBLIGATION N°2 - LE DROIT À LA DÉCONNEXION POUR LES EMPLOYÉS
Les spécificités du droit à la déconnexion : définition
Malgré sa notoriété, ce droit est souvent mal compris et mal appliqué. Mais d’abord, qu’est-ce que c’est exactement ?
Le droit à la déconnexion est un droit obligatoire pour tous les salariés (qu’ils soient en horaires fixes ou non), indépendamment de leur statut ou de leur mode de travail. Il s'agit du droit pour chaque salarié de ne pas être joignable ni connecté à un outil numérique professionnel en dehors de ses heures de travail. Cette notion a émergé à la fin des années 90, mais elle a été officiellement reconnue dans le code du travail en 2016.
Comment appliquer le droit à la déconnexion pour les salariés ?
Théoriquement, un salarié n’a pas besoin de demander à ce que ce droit s’applique pour lui, car c'est à l'employeur d'organiser les modalités de ce droit. Concrètement, il doit donc mettre en place des limites techniques pour que les employés ne puissent pas utiliser certains outils de communication (ou qu’ils aient le devoir de les éteindre) sur certaines plages horaires définies.
Si l'employeur ne respecte pas cette obligation, le salarié a bien sûr tout à fait le droit de dire qu’il ne consultera pas sa messagerie en dehors de ses horaires de travail.
Si, à l’inverse, un salarié a une tendance “workaolique” (il travaille les week-ends, consulte sa messagerie tard le soir…), c’est toujours à l’employeur de faire respecter ce droit, mais cela peut être plus ou moins délicat selon les modalités de durée du travail du salarié :
Si le salarié est censé être aux 35h (ou 37 / 38 / 39h…) avec des horaires de travail fixes, c’est assez simple, l'employeur doit lui faire respecter ses horaires, et mettre en place des limites comme mentionné ci-dessus.
Si le salarié est en forfait jour et donc n’a pas d'horaires fixes, c’est plus compliqué car on ne peut pas vraiment lui reprocher d'être connecté tard le soir ou très tôt le matin. Mais outre les horaires de travail, l'employeur a aussi la responsabilité d'assurer le respect des temps de repos obligatoires (11h de repos quotidien et un repos hebdomadaire d’au moins 24h - jusqu’à 48h selon les conventions collectives). Donc si un salarié travaille 7 jours sur 7, l'employeur doit le rappeler à l'ordre, il doit mettre en place une politique sur le droit à la déconnexion (avec notamment une charte sur le droit à la déconnexion pour poser des règles). Il peut aussi organiser une visite avec la médecine du travail si besoin, ou organiser des entretiens de suivi de la charge de travail avec le salarié. Et si vraiment tout cela n'aboutit pas, on pourrait imaginer que c'est une faute disciplinaire pour le salarié.
La mise en place de politiques sur le droit à la déconnexion se fait différemment selon la taille de l’entreprise :
Les entreprises d’une certaine taille, soumises à la NAO (Négociation Annuelle Obligatoire) et donc avec des représentants syndicaux, doivent obligatoirement ouvrir des négociations sur ce thème-là et conclure des accords. Si les négociations n'aboutissent pas, il faudra qu’elles mettent en place à minima une charte sur le droit à la déconnexion.
Dans les entreprises plus petites, sans représentants syndicaux, il n’y a pas d'obligation d'avoir ni un accord ni une charte (mais attention, cela risque de devenir obligatoire prochainement). À défaut de charte, l'employeur peut inclure cela dans les contrats de travail, mais il doit veiller à l'égalité de traitement entre les salariés : il ne doit pas mettre des règles différentes selon les salariés, ce serait illégal.
Anne constate que cette culture de la déconnexion est bien reçue par ses clients, les entreprises ont de plus en plus conscience de l’importance du bien-être de leurs employés. Quand ils veulent mettre en place un forfait jour, elle ne leur laisse pas le choix et impose une charte du droit à la déconnexion. Cela peut être assez simple, avec à minima :
des plages de déconnexion obligatoires (souvent c'est 20h ou 21h le soir jusque 7h ou 8h le lendemain),
programmer les messageries,
et inviter les gens à ne pas répondre aux mails, aux messages pendant ces plages horaires.
Sanctions encourues
Selon la faute, il y a plusieurs types de sanctions :
Sanction si l’employeur n’a pas respecté l'obligation de négocier un accord s’il y est soumis.
Si l'employeur impose à ses employés de trop travailler sans temps de déconnexion, dans ce cas, il ne respecte pas son obligation de protection de la santé physique et mentale de ses salariés. Sur des dossiers de burn-out ou de harcèlement moral par exemple, cela peut aboutir à des dommages et intérêts en fonction du préjudice subi par le salarié.
Si c’est l’employé qui est surinvesti et met lui-même sa santé en danger - comme c’est parfois le cas en start-up - l’employeur a sa part de responsabilité puisqu’il n’a pas été assez vigilant et n’a pas su faire respecter le cadre légal. Devant les tribunaux, il y aura un combat pour déterminer qui a été le plus responsable, mais clairement c'est à l'employeur de garantir cela.
OBLIGATION N°3 - LE CONTRÔLE DE LA DURÉE DU TRAVAIL DES SALARIÉS EN START-UP OU AUTRES
La durée du travail en France
En France, la durée légale est de 35 heures par semaine, c’est la règle de base - qu’on soit cadre ou non-cadre - à partir du moment où on a un contrat de travail. Cela va un peu à contre-courant de la tendance actuelle où on aime bien avoir la flexibilité sur la durée du travail, ne pas avoir d'horaire à respecter. Mais le code du travail offre un panel d'options et de flexibilité, comme les accords d'entreprise, l'annualisation du temps de travail et la modulation. Ces modalités permettent aux salariés de travailler plus que les 35 heures hebdomadaires, par exemple jusqu'à 39 heures. Dans ce cas, ce sont des heures supplémentaires structurelles qui sont payées chaque mois.
Il existe une seule exception aux 35 heures, c’est le forfait jour, c'est-à-dire un certain nombre de jours de travail à accomplir sur une période déterminée (généralement sur l'année) dont le détail est fixé soit par des accords d'entreprise, soit par la convention collective. Mais ce système est très encadré, il est réservé aux cadres d'un certain niveau de classification et de salaire, qui bénéficient d'une certaine autonomie dans leur travail. Il est vraiment conçu pour les salariés dont l'activité ne permet pas d'avoir des horaires fixes, comme ceux qui gèrent une équipe, ou ceux dont l'activité est très variable (par exemple avec une forte dimension commerciale, avec des rendez-vous irréguliers). Ces règles sont valables pour les startups et pour toutes les entreprises.
Obligations de l'employeur
Concernant le temps de travail, l'employeur a une double obligation :
Contrôler le temps de travail :
L'employeur a l'obligation de surveiller et de vérifier le temps de travail de ses salariés (à part pour les forfaits jours, et pour le cas, de plus en plus rare, où l’horaire est collectif - par exemple 9h-17h pour tout le monde - bien affiché, avec l’ensemble des employés travaillant dans les locaux). Cela signifie qu'il doit être en mesure de suivre et d'enregistrer la durée quotidienne du travail effectif de chaque salarié, ainsi que le total des heures de travail sur la semaine. L’idée, c'est de comptabiliser les heures supplémentaires s’il y en a, et de vérifier si les temps de repos sont bien respectés.
Sur la forme, l'employeur est libre d’utiliser le moyen qu’il veut : cela peut être par exemple une badgeuse physique ou digitale (même si c'est souvent mal accepté), ou un système déclaratif où chaque semaine, les salariés indiquent leurs horaires de travail.
Établir des documents de comptabilisation du temps de travail : Ces documents doivent être tenus à la disposition de l'inspection du travail et du CSE (Comité Social et Économique, anciennement le comité d'entreprise).
Sanctions
Le non-respect de l’obligation de comptabilisation de la durée du temps de travail quotidien et hebdomadaire est lourdement sanctionné. Ce sont des sanctions pénales, avec des amendes qui s’appliquent aux salariés concernés. Si vous avez 100 salariés et que vous ne contrôlez pas le temps de travail, en cas de contrôle de l'inspection du travail, vous aurez 100 contraventions…
Ensuite, sur le volet individuel, les Prud’Hommes ont souvent à traiter des contentieux sur les heures supplémentaires : en l'absence de contrôle du temps de travail, il est difficile de déterminer les heures supplémentaires, savoir si elles ont été payées ou non, combien elles auraient dû être payées… Si le salarié réclame des heures supplémentaires non payées sur plusieurs années (le délai de prescription est de 3 ans), imaginons 10h de plus chaque semaine, cela peut vite coûter très cher à l’entreprise…
D’ailleurs, ne pas faire apparaître toutes les heures supplémentaires sur un bulletin de paye (de façon intentionnelle), peut être considéré comme un délit de travail dissimulé ! Et là, c'est encore une condamnation pénale qui peut être assez élevée, puisqu'elle correspond à l'équivalent de 6 mois de salaires du salarié.
OBLIGATION N°4 - LES CONGÉS PAYÉS
La durée du travail en France
Bien souvent, en start-up comme ailleurs, on sait qu'il y a 25 jours de congés payés + éventuellement des RTT, et on imagine qu’on peut les prendre à peu près à notre convenance... Cependant, peu de gens le savent et peu d’entreprises l’appliquent, mais il existe des règles pour poser les congés payés, et leur non-respect peut coûter cher. Quelles sont ces règles ?
Période de référence pour l'acquisition des congés payés : elle va du 1er juin d'une année au 31 mai de l'année suivante.
Période légale pour prendre les congés : elle va du 1er mai au 31 octobre. Durant cette période, les salariés doivent prendre 4 semaines sous cette forme :
un congé principal, c’est-à-dire 12 jours ouvrables minimum en continu (soit 2 semaines). Ils sont généralement pris pendant la période estivale.
+ la 3e et la 4e semaine, qui peuvent être prises de manière fractionnée ou en continu.
Congés de fractionnement : Si ces semaines 3 et 4 ne sont pas prises pendant cette période, le salarié a droit à des congés supplémentaires, qu’on appelle congés de fractionnement. Bien souvent, ces congés ne sont pas connus et si la personne prend ses semaines 3 et 4 en hiver, elle ne prendra pas les jours en plus auxquels elle a pourtant droit. Pour connaître le nombre de jours de fractionnement auxquels on peut prétendre, il faut regarder sa convention collective.
La 5e semaine de congés payés peut être prise librement toute l'année.
Les jours de repos (ou RTT) : Les personnes qui sont au forfait jour ont droit à des jours de repos en plus, les RTT. En 2024, ils ont droit à 9 jours de RTT par an (sur l’année civile et non pas sur la période de référence comme pour les congés). Ce n’est pas très pratique, il est possible de simplifier plein de choses et d’aligner les deux périodes en faisant un accord d'entreprise sur le sujet.
Sanctions
Ne pas respecter les règles sur la prise des congés payés, c'est du pénal et peut donc entraîner une amende. En théorie, un salarié pourrait réclamer des dommages et intérêts si ce n’est pas respecté. Si on reprend l’exemple du salarié workaolique qui finit en burn-out, s’il n’a pris ses congés que sous forme de week-ends fractionnés tout au long de l’année, il pourrait considérer que son employeur ne lui a pas accordé son droit à un repos de 15 jours d'affilée, et que ce non-respect des règles de la protection de la santé mentale du salarié est un des éléments constitutifs l'ayant mené au burn-out.
Aujourd’hui, les gens ont plutôt tendance à prendre leurs congés de manière plus fractionnée, avec des grands week-ends plutôt que 2 ou 3 semaines d’affilée. Et donc, les règles ne sont pas toujours respectées.
Anne recommande d’être vigilant : pour se protéger, il est préférable dans ce cas de faire un accord d'entreprise où on va aménager une partie de ces règles pour coller au mieux avec l'activité et avec les pratiques des salariés.
CONCLUSION
Même si tout cela est un peu technique, l'idée sous-jacente, c’est d'accorder un droit de repos aux salariés. Être déconnecté en dehors de ses heures de travail, respecter ses temps de repos, prendre ses congés, ce sont des éléments importants de la protection de la santé des salariés, et pour être plus épanoui tout simplement !
Vous pouvez contacter Anne sur LinkedIn ou par mail anne@cohenavocate.fr
Site web : https://www.cohenavocate.fr/
Ressources sur le droit du travail recommandées par Anne :
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