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Diffuser la vision au maximum

Dernière mise à jour : 12 juin 2023

Benoit Wojtenka - Co-fondateur de Bonne Gueule



"J’ai compris que développer la vision, l’afficher et la répéter, n’était vraiment pas un conseil à la con que tu apprends dans un cours d’entrepreneuriat." Benoit Wojtenka

Dans cet épisode #07 du podcast Yaniro, j’ai donné rendez-vous à Benoit Wojtenka, co-fondateur du média Bonne Gueule. Dans cette interview, il revient sur le développement progressif de son média et de la marque de vêtements qu’il a par la suite lancé. Il évoque notamment le fait qu’une relation entre associés est plus exigeante qu’une relation de couple et il nous explique la façon dont des croyances parentales très profondes ont pu influencer son style de management.


Différents thèmes seront également mis en lumière tels que l’utilité des valeurs de l’entreprise et la spiritualité dans l’entrepreneuriat.


Alexis Eve : Bonjour Benoît, bienvenue dans le podcast Yaniro. Tu es l’un des deux cofondateurs de Bonne Gueule, qui est à la fois un média traitant de la mode masculine et une marque de vêtements pour homme, originalement distribuée sur internet, puis présente en boutique un peu partout en France. Plus globalement, vous mettez en avant que votre raison d’être est d’aider les hommes à se sentir bien dans leurs vêtements.


Benoit Wojtenka : On réfléchit même en ce moment à raccourcir la tagline et de mettre « aider les hommes à se sentir bien » tout court !


Vous existez depuis 2007, une longue aventure qui vous a permis de passer d’un blog à un véritable média pour, ensuite, créer votre propre ligne de vêtements. Au niveau des chiffres, vous êtes environ 35 à travailler dans la société, vous avez levé des fonds en 2016, mais, jusqu’alors, vous fonctionniez sur fonds propres. Est-ce que tu peux juste repartir du début, au moment où vous lancez, avec ton associé, le blog Bonne Gueule ? Quel a été le point de départ ?


Au départ, j’ai lancé le blog de Bonne Gueule avec un ami à moi, Baptiste, qui n’est pas mon associé actuel. Pour l’anecdote, le blog a été lancé en juillet 2007 et il rentrait en prépa en septembre, ce qui ne lui laissait plus du tout le temps de gérer ça à côté. J’ai rencontré mon associé, Geoffrey, en janvier 2010 et on a commencé à travailler ensemble à la fin de cette même année.


Quelle était la raison d’être de ce blog à l’époque ?


C’était pile entre ma première et ma deuxième année de DUT Techniques de Commercialisation. J’aimais la mode, j’aimais écrire, et il y avait très peu de contenus qui m’expliquaient pourquoi une chemise pouvait coûter 50 €, 100 € ou bien encore 150 €, et j’avais envie de comprendre. J’avais aussi envie d’aider les hommes à comprendre ce qu’ils achetaient et pourquoi. Je voulais les aider aussi dans leur rapport aux vêtements et, à cette époque, il y avait très peu de sujets traités dans cette optique-là.


À l’époque, tu publies du contenu issu de tes propres recherches avant de le rendre accessible au plus grand nombre ?


C’est exactement ça, je couchais mes réflexions.


Pendant combien de temps ça dure et quel est ton rapport à ce blog pendant cette période ?


J’étais étudiant, j’avais mes amis, mes soirées, et le blog était vraiment un loisir dans ma vie quotidienne. J’avais envie de découvrir plein de choses et puis de les retranscrire. Avec Geoffrey, nous avons envisagé sérieusement d’utiliser ce blog comme source de monétisation au début de l’année 2011.


Avant de l’envisager comme une source de monétisation, quel était ton schéma ? Tu envisageais donc Bonne Gueule comme un loisir avec un job autre que tu aurais pu avoir à côté ?


Je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie, j’étais en école de commerce, je m’y plaisais, mais je ne savais vraiment pas ce que j’allais faire. Lorsque je suis entré en école de commerce, j’ai lu La semaine de 4 heures de Tim Ferriss et ça a été un premier déclic pour moi. Je me suis alors dit qu’il y avait peut-être un moyen pour moi de vivre de mes idées et de mon loisir.


Le deuxième élément, dont je n’ai jamais parlé publiquement, et que, en juillet 2010, j’ai fait un malaise cardiaque et on m’a posé un pacemaker. À cette époque, j’avais 22 ans et je me retrouve dans une période de vie où tu es normalement censé être au top de tes capacités physiques et, pour ma part, ce n’était pas du tout le cas. J’ai donc décidé qu’il était temps d’avoir une vie un peu « cool », dans l’optique où tout peut s’arrêter à n’importe quel moment.


Je lisais également beaucoup un auteur du nom de Mark Manson et il évoquait, dans l’un de ses articles, la mort de l’un de ses amis qui l’avait fait beaucoup réfléchir sur le sens de la vie. L’expérience que j’ai vécue m’a beaucoup fait réfléchir et je me suis dit qu’il était temps de penser à ce que je voulais faire de ma vie. J’ai également un bon ami qui a un peu la même histoire de moi, il s’appelle Valentin et il a monté Super Vagabond, maintenant il voyage aux quatre coins du monde et il m’a beaucoup inspiré.


Vous avez testé la monétisation par un ebook qui a très bien marché, puis vous avez lancé une formation vidéo en ligne, le programme Bonne Gueule. Ensuite, il y a eu un tournant très fort en tant qu’entreprise qui est l’embauche d’employés.


L’e-book nous l’avons créé en mai 2011, je suis ensuite parti finir mes études à HEC Montréal, puis je suis rentré en juin 2012 et, en novembre 2012, on prend nos premiers bureaux. Avec mon associé, nous avions chacun un stagiaire, donc nous étions quatre.


Comment ça s’est passé pour toi à ce moment-là ? Comment tu as vécu cette dynamique start-up que tu n’avais pas forcément l’habitude d’avoir dans ton quotidien ?


Franchement, je l’ai bien vécu. Ca me plaisait et je pouvais faire ce que j’aimais toute la journée.


Le niveau de complexité augmente d’un cran quand vous rentrez dans le sujet du physique en vendant des vêtements.


On a lancé une collaboration avec une marque de jeans, Renhsen, que l’on n’a pas voulu mettre au point comme une collaboration « classique ». On a fait un road-trip et on a photographié le jean que l’on avait pris un peu partout durant notre voyage. On a vendu 150 jeans en 48 heures. De ce fait, on a eu une belle hausse du chiffre d’affaires. On a vu alors que, effectivement, la dimension physique pouvait être complexe, mais que le chiffre d’affaires n’était plus du tout le même. Par la suite, on a fait d’autres collaborations, et cela nous a confirmé que l’on avait une audience qui était prête à acheter ce que l’on proposait. Puis, on s’est dit qu’il fallait autant proposer une marque de vêtements permanente, et c’est comme ça que la ligne a vu le jour.


En lançant votre marque, quelle a été la part plaisir et la part business ?


La proportion reste la même que lorsque l’on faisait des collaborations, mais tout est devenu plus intense. J’étais encore plus content de pouvoir avoir une marque de vêtements à l’année et Geoffrey était encore plus heureux, car il y avait une nouvelle opportunité business pour la société. Évidemment, j’avais conscience des enjeux business et je les comprenais bien, mais, au fond de moi, ce n’était pas le plus gros driver.


Ce qui marche bien dans votre mariage, avec ton associé et toi, c’est la bonne répartition au niveau du travail, mais il doit peut-être y avoir des clashs, des moments où les deux visions sont en conflit ?


Effectivement, il y a pu en avoir au début, mais ça fait partie du jeu aussi. Honnêtement, je trouve que c’est une relation qui est plus exigeante qu’une relation de couple. Concrètement, tu vois la personne plus souvent, plus longtemps, il faut du bon sens, de la bonne foi et de la bonne intelligence. Il n’y a pas de recette miracle, il faut créer une confiance mutuelle, il faut accepter que l’autre ait des côtés un peu agaçants, mais aussi des points forts. L’entente entre associés est un sujet qui est vraiment clé dans les entreprises, en particulier les start-ups, et je trouve qu’il est largement sous-estimé.


De par ton expérience, qu’avez-vous mis en place pour que cette association tienne dans la durée ?


Il faut être au clair sur les périmètres de l’autre et les respecter. Il faut aussi respecter le fait que l’autre peut avoir un avis contraire. On peut avoir un avis différent, mais laisser la possibilité à l’autre de faire son job.


Avez-vous réussi à le mettre en place rapidement ?


Pour ma part, je me suis affiné avec le temps, notamment en rencontrant quelques mentors. Cette démarche est légitime, et je respecte le champ de compétences de mon associé.


Qu'est-ce que tu dirais au Benoît d’il y a quelques années sur cet aspect-là ?


De respecter les avis de chacun et, contrairement à ce que je pensais, chacun détient une certaine vérité qui, dans certains cas, peut être plus pertinente que dans d’autres. Avant, j’avais tendance à penser que tous les avis se valaient. En résumé, même si chacun a ses vérités, dans certains cas, certaines sont plus adaptées que d’autres.


Est-ce que tu as réussi à comprendre pourquoi tu fonctionnais de la sorte avant ?


Sincèrement, je pense qu’il s’agit de mes modèles parentaux. Dans ma famille, l’humilité est quelque chose de très fort. Quand j’étais dans une situation où l’autre était persuadé d’avoir raison, j’avais associé le fait d’avoir raison à une certaine arrogance. Au final, j’étais dans un schéma où je faisais ce que je condamnais. Je me suis notamment intéressé aux écrits de Ken Wilber qui traite de ce sujet.


Comment est-ce que tu as pu gérer aussi cet aspect-là lorsque tu as dû travailler avec des collaborateurs ?


Il a fallu apprendre ce qu’était le management et c’est quelque chose de très difficile. Olivier Roland a dit que l’entrepreneuriat est l’exercice de développement personnel le plus ultime et je commence à comprendre pourquoi. Concrètement, tu dois passer ton temps à te dépasser. Tu es mis tout le temps face à toi-même, face à tes doutes, et tu dois les résoudre, car tu n’as pas le choix. Avec les collaborateurs, ça a été un long voyage et c’est toujours le cas. J’ai beaucoup appris sur moi-même. Je n’ai pas toujours été un manager parfait, très loin de là, et, à un moment, il faut faire un trait sur l’idée du manager parfait qui sera accepté par tous.


Vu de l’extérieur, je me demande comment cohabitent à la fois toutes les valeurs que tu viens de nous donner et ce que l’on voit de l’extérieur de Bonne Gueule, avec un niveau d’attention et d’exigence particulièrement élevé.


Quand il s’agit de la marque de vêtements, c’est un autre système de pensée. Ma hantise est de faire un vêtement qui n’est pas à la hauteur du prix. Ce qui me motive, c’est vraiment la passion et j’aimerais que mon vêtement fasse l’unanimité et soit irréprochable. J’ai aussi envie d’être fier de ce qu’on propose et d’être en accord avec mes valeurs.


Si tu étais artisan, et que tu faisais tes propres vêtements, la question ne se poserait pas. Là, que ce soit sur les vêtements et les articles, comment arrives-tu à concilier l’envie d’être à la hauteur de ce que tu aimes et le fait que ce n’est pas toi qui fait tout ?


C’est la confiance dans le recrutement. Si tu embauches un rédacteur et que tu n’as pas confiance en lui, et bien, pourquoi tu l’as embauché ? Je sais qu’il peut y avoir des personnes qui sont des maniaques du contrôle, mais, personnellement, ce n’est pas du tout mon cas. Il ne me faut pas forcément une personne qui fasse à 100 % ce que je veux, 90 % ça peut déjà être très bien.


Il y a aussi une nécessité de cultiver une vision forte, par exemple sur ce que l’édito Bonne Gueule doit être, sur ce que les vêtements doivent être, c’est vraiment très important. Il faut prendre ton rôle de leader vraiment à cœur, montrer une direction claire et expliquer pourquoi, afin d’entraîner les gens. Si tu veux que les personnes se fassent confiance entre elles, il faut montrer l’exemple.


Quoi qu’il se passe dans une boîte, ça sera toujours la faute du dirigeant. Si la personne ne fait pas le travail que tu attends, il ne faut pas que tu oublies que c’est toi qui l’as recruté et que donc, par conséquent, c’est de ta faute.


Est-ce que tu as cette vision depuis le début ou bien, au début, tu avais plutôt tendance à courir derrière les petits détails ?


Sur l’aspect finition, je n’ai jamais été très fort. C’est plutôt mon associé Geoffrey qui était comme ça. Toutefois, il a très vite compris que ce n’était pas mon truc et que, de mon côté, je ne serai pas très bon là-dedans. Par contre, j’ai dû le montrer que j’étais prêt à faire des efforts dans ce sens.


Pour reprendre ce que tu disais avant, pour éviter de se retrouver à courir après tout le monde, il faut mettre le niveau d’exigence au moment du recrutement ?


Tout a fait, puis il faut développer la vision, montrer ce que l’on attend. Il est donc vraiment important de donner du sens, et de mon côté, je l’ai compris assez tard.


En avançant dans l’histoire, on voit que vous avez fait une levée de fonds, qui reste un événement majeur dans la vie d’une entreprise. Pourquoi est-ce que vous avez fait cette levée de fonds ?


Il y avait vraiment plusieurs choses. Pour amener Bonne Gueule où on voulait il fallait muscler l’équipe sur certains profils il y avait toujours l’histoire des stocks à financer, et plein d’autres choses Dans cette idée, on aurait pu y arriver de manière organique, mais ça aurait pris beaucoup plus longtemps. Pour répondre à cette question, nous avons écrit un article à ce sujet.


Une valeur qui est très forte chez vous c’est le « care », que l’on pourrait qualifier de bienveillance, mais comment est-ce que cela peut continuer de la même manière lorsque l’on passe à un stade d’entreprise plus grosse ? Si, demain, vous êtes encore plus gros, est-ce que la question d’arriver à garder ses valeurs est une chose qui vous travaille ?


Il y a des entreprises qui arrivent très bien à le faire, je pense notamment à Zappos. Ce sont également des valeurs qui sont très à la mode dans les start-ups. D’autres entreprises ont réussi à le faire avant nous, donc c’est plutôt positif. J’ai compris que développer la vision, l’afficher et la répéter, n’était vraiment pas un conseil à la con que tu apprends dans un cours d’entrepreneuriat. À chaque nouvel arrivant, mon associé passe une heure ou deux à expliquer la stratégie et moi, ensuite, je passe une heure à expliquer les valeurs.


Pour la suite, quels sont vos objectifs pour l’entreprise ?


En 2018, on est repassé sur une phase d’hypercroissance et on a vraiment beaucoup à faire sur le marché français. L’internationalisation, ça fait longtemps que l’on y pense, mais l’on a encore trop de choses à faire en France.


L’enjeu est maintenant de faire connaître Bonne Gueule, mais vraiment en tant que marques de vêtements. Il y a beaucoup de lecteurs qui ne connaissent pas encore la ligne de produits. Au moment où on aura bien réussi cette mission, on pourra se poser la question de l’international. Je ne suis pas non plus contre nous diversifier, mais, pour l’instant, je ne sais pas si cela va se faire.


Est-ce que ton associé et toi avez des « garde-fous » que vous vous mettez par rapport au développement de Bonne Gueules ?


Effectivement, le but n’est pas de se diluer. Nous avons un business model qui est très communautaire et, dans les faits, c’est comme une relation avec quelqu’un, ça prend beaucoup de temps à construire. Tout ce qui va à l’encontre de la communauté, c’est très clair pour nous, et ça ne fera pas parti du développement.


Il y a aussi la question de la qualité du vêtement, car le marché est de plus en plus compétitif, mais l’on veut garder cette notion. La qualité est vraiment quelque chose que nous ne pouvons pas dégrader.


Merci Benoit, où est-ce que l’on envoie les personnes qui souhaitent te joindre ou en savoir plus ?


En général, nous contacter par le mail classique contact@bonnegueule.fr ou dans les commentaires.


Références :

La semaine de 4 heures : Travaillez moins, gagnez plus et vivez mieux ! : écrit par Timothy Ferris et paru en français aux éditions Pearson Education


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