Avec Sophie Dalle Maes, responsable RH chez Le Fourgon
Le Fourgon a fait le pari de développer la consigne de ses emballages tout en accélérant considérablement sa croissance. Sophie Dalle Maes, responsable RH chez Le Fourgon, explique comment réussir à concilier hyper-croissance et impact
Avec ses consignes, Le Fourgon a en effet la volonté forte d'avoir un impact positif d'un point de vue RSE / social / sociétal. En même temps, en 2 ans, l'entreprise a connu une véritable hypercroissance, passant de 28 collaborateurs tous au siège de Wambrechies, à plus de 300 personnes réparties sur 19 entrepôts à travers la France - les ¾ des effectifs étant dans la logistique. Concilier les 2 aspects, hypercroissance et impact, a représenté un véritable défi en particulier pour Sophie, RH du Fourgon depuis deux ans.
Dans cet épisode du Human Factor, elle nous présente les 5 clés mises en place pour concilier hypercroissance et impact, et éviter ainsi que l’un ne se fasse au détriment de l’autre.
CLÉ N°1 - RECRUTER RAPIDEMENT UN RESPONSABLE RH
Les fondateurs du Fourgon avaient à cœur de monter un projet à impact environnemental, mais aussi un projet à impact humain. N’étant pas primo-founders, ils avaient conscience qu’ils ne pourraient pas être sur tous les fronts à fois, et que pour mettre l’humain au cœur du projet, cela nécessiterait que la fonction RH soit représentée très tôt dans l’entreprise.
Ils avaient également une deuxième volonté : internaliser les process. En recrutant une personne en charge des RH en interne, ils s'assuraient d’avoir quelqu'un qui soit vraiment le garant et le porteur des valeurs qu'ils voulaient défendre dans l'entreprise.
Ils ont ainsi évité d’externaliser les recrutements (avec des profils chasseurs ou RPO), mais aussi de les internaliser en les confiant à des profils qui n’en avaient pas trop les compétences (les founders par exemple). Dans les 2 cas, les risques de se tromper de profils et d’avoir un gros turnover sont élevés. Il était donc vraiment préférable de recruter quelqu'un en interne qui possède les compétences et est aligné avec les valeurs de l’entreprise.
Plus globalement, avoir une équipe compétente et dédiée a également 2 autres avantages :
Cela permet d’assurer la bande passante, car si eux devaient recruter beaucoup de monde, il y avait aussi d'autres sujets que la RH à gérer : développer en même temps le business, le business plan etc.
Cela garantit que toute la partie droit du travail est compliant, ce qui limite le risque légal et la dette RH.
Et désormais avec 3 personnes dans l'équipe RH, c’est 100% du recrutement qui a été internalisé au Fourgon !
CLÉ N°2 - RECRUTER LES BONS PROFILS
Pour Le Fourgon, en ouvrant ces 19 points partout en France - et donc loin du siège - il était essentiel d’avoir des personnes représentant vraiment l’entreprise dans chaque nouvelle ville ouverte, qui ne soient donc pas de simples gérants d’entrepôts de livraison.
Le recrutement (en collectif) de ces responsables d'entrepôt (appelés en interne les Business Unit Managers) a donc été un vrai challenge. Cela a demandé beaucoup d'énergie, et ils ont préféré prendre le temps nécessaire - en dépit de la pression liée à l’hypercroissance - pour trouver les bons visages, c’est-à-dire :
Côté compétences : des gens suffisamment autonomes pour gérer un entrepôt à 800 km du siège, donc capés en termes d'expérience et avec du courage managérial.
Côté culture fit : le plus important, des personnes qui, humainement, collent le plus possible au projet du Fourgon en termes de valeurs, avec un engagement fort. L’avantage en tant qu’entreprise à impact, c’est qu’ils ont pu attirer des profils qui - comme Sophie - cherchaient à retrouver du sens dans leur job, en particulier dans le domaine de la logistique où il est difficile de trouver cela (on est plutôt dans un monde d’emplois précaires). La preuve, c’est que tous postes confondus, ils ont reçu plus de 20 000 candidatures ! Sophie est très sensible au côté solaire des gens (d’ailleurs la charte graphique du Fourgon est jaune), la convivialité, le plaisir, étant des valeurs de l’entreprise. Pour l’anecdote, quand ils hésitent entre 2 candidats, ils se posent la question suivante : avec lequel d’entre eux on aurait plaisir à aller boire une bière vendredi soir ?
Pour évaluer le culture fit et déterminer si un candidat peut s'épanouir au sein du Fourgon :
Sophie privilégie les conversations informelles plutôt que des entretiens formels : si déjà la personne se sent à l’aise dans ce type d’entretien décontracté, c’est bon signe, car le côté détendu dans la communication fait partie de la culture du Fourgon.
Comme le Fourgon est une entreprise à impact, elle regarde également quelles actions les candidats font chez eux au quotidien envers l'environnement. C’est déjà un bon marqueur de leur niveau d’engagement.
Pour évaluer le côté convivialité, Sophie regarde également leur manière de vivre, s’ils sont ouverts, plutôt à l'écoute en termes de management, dans la participation, dans l'échange.
C’est un premier filtre, ensuite le process de recrutement est toujours collectif, c’est important pour eux. Personne ne va prendre la direction d'un entrepôt sans avoir vu les cofondateurs et le directeur logistique.
Précision importante : malgré ces critères, ils ne cherchent pas un modèle unique de responsable d’entrepôts. Au contraire, ils recherchent une certaine diversité de profils, et ils évaluent le potentiel de la personne. Par exemple, cela peut être des femmes (même si elles sont assez rares dans le domaine de la logistique), des jeunes qui n’ont pas beaucoup d’expérience mais dont ils ressentent l’envie, l’engagement, la persévérance à travers ce qu’ils vivent au quotidien (s’ils font du sport par exemple), etc.
CLÉ N°3 - FORMER DES MANAGERS TYPES “LE FOURGON”
Leurs collaborateurs étant tous différents, très autonomes et répartis à travers toute la France, mais liés par les mêmes valeurs, Le Fourgon souhaite garantir que les clients comme les collaborateurs vivent une même expérience, qu’ils soient à Nancy ou à Toulouse. En bref, créer un “manager Le Fourgon” type, correspondant à certains standards - uniformiser sans pour autant gommer les individualités et les singularités de chacun.
En effet, avoir des valeurs communes, des comportements managériaux communs n’est absolument pas incompatible avec des sujets comme diversité et inclusion : comme dans un sport d’équipe, l’individualité est bienvenu, mais pas l’individualisme - ce n’est pas synonyme. Il faut forcément qu'il y ait une forme d'homogénéité pour s’adapter à la manière de faire au Fourgon, et ça, on ne peut le faire qu'avec un socle de valeurs communes / comportements managériaux communs. Pour en savoir plus sur ce sujet, vous pouvez écouter l’excellent épisode de Sarah Ben Allel de Qonto sur la culture et l'importance d'avoir une culture clivante.
Le but, c’est de créer un effet de corps, un esprit de communauté, une certaine homogénéité qui va faire que, même en période d’hypercroissance, la culture ne va pas se diluer, et que l'entreprise va pouvoir garder de l’impact. Cela passe notamment par de la formation, et le fait de se retrouver régulièrement. Pour y parvenir, Le Fourgon a donc mis en place différents process :
Une formation interne
Ils ont créé une formation interne pour les managers, qu’ils proposent à ceux qui sont déjà responsables logistique, mais aussi à ceux qui sont en devenir dans un processus d'évolution interne (les team leaders). Cette formation est très importante pour eux, car elle pose le cadre : l’autonomie c’est génial, mais cela ne fonctionne qu’avec un cadre clair pour les personnes. Niveau contenu, ils vont donc mettre l'accent sur les routines et le niveau d’exigence attendus envers les collaborateurs.
D’ailleurs, on ne le répétera jamais assez : quelle que soit l’entreprise, formez vos managers, que ce soit en interne ou en externe, pour faire en sorte qu’ils soient forts car ce sont des rôles primordiaux. Ainsi vous éviterez que ce fameux adage ne se vérifie : les gens rejoignent une boîte, puis la quittent à cause d’un manager…
Des séminaires en présentiel
Ensuite, deux fois par an, tous les responsables d'entrepôt participent à un séminaire de 3 jours, avec plusieurs objectifs :
Se réunir physiquement, car les gens sont dispersés géographiquement, et même si le niveau de collaboration est très fort en distanciel, les Google Meet ne suffisent pas.
Favoriser le partage d'expérience : pendant ces 3 jours, ils vont pouvoir partager des situations managériales qu'ils ont pu vivre. On leur demande de prendre du recul, refaire des cas sous forme de jeux de rôle pour se challenger sur comment réagir, etc. Car une chose est sûre : pratiquer est plus efficace que d'apprendre des bonnes pratiques !
Être aussi dans le collaboratif, créer un échange, du partage : ceux qui ont un peu plus d’expérience en management peuvent challenger les collègues qui sont un petit peu plus jeunes sur le sujet ; ou encore des plus jeunes peuvent challenger des comportements qui sont un peu trop rétrogrades par des méthodes nouvelles, etc.
Créer un sentiment de communauté, et permettre aux managers de se sentir moins isolés. Le Fourgon souhaite vraiment :
que les managers sachent qu’ils ne sont pas seuls à vivre des situations particulières,
leur donner des clés pour qu'ils s'en sortent mieux demain,
et qu’ils n’hésitent pas à appeler des collègues quand ils ont besoin d’aide : un regard croisé leur permettra en effet de prendre la décision en toute confiance.
Travailler, encore et encore, pour raccrocher les managers avec les valeurs de l'entreprise : c’est fondamental, car s’ils sont alignés avec ces valeurs, leurs décisions seront forcément dans la vérité.
Partager les comportements managériaux attendus, la vision managériale que Le Fourgon a définie pour ses managers, en leur donnant des exemples lors de ce séminaire. Cela va contribuer au courage managérial : avec un cadre, ils pourront prendre leurs décisions sereinement.
Des déplacements de l’équipe dirigeante en région
Encore une fois, même s'ils ont beaucoup d’outils de communication en ligne, rien ne remplace le lien physique. Les responsables, comme le CEO, Sophie, vont donc régulièrement se déplacer dans les entrepôts en région. Ainsi, ils vont créer un lien direct et prendre le pouls de l'équipe sur place.
Des réunions managériales tous les 15 jours
Les team leaders et les responsables d’entrepôt sont aussi des collaborateurs à part entière, et à ce titre, même s’ils sont relativement autonomes, ils ont besoin de se sentir constamment soutenus, accompagnés, pour se sentir solides dans leurs décisions.
Ils ont donc mis en place un créneau toutes les 2 semaines où ils peuvent se retrouver (si besoin) pour pratiquer, refaire des situations managériales. Dans un environnement transparent comme celui-ci, ils savent qu’ils ne seront pas jugés, que tout le monde n’est pas au même niveau, et qu’ils sont là dans une dynamique pour progresser. Le but c'est qu’ils n’aient pas peur de demander de l’aide s’ils en ont besoin, qu’ils aient un profil plus senior qui a du mal à s'adapter aux pratiques Le Fourgon, ou un profil plus junior qui a des difficultés à assumer ses décisions.
Mesurer la satisfaction des collaborateurs
Mais fournir les clés de réussite n'est pas suffisant : il est essentiel de mesurer la satisfaction des collaborateurs pour savoir où on en est, et évoluer. Pour cela, lors des entretiens trimestriels et annuels, ils demandent aux collaborateurs de donner une note de satisfaction concernant leur expérience dans l'entreprise. Ces entretiens sont basés sur la notion de plaisir et de déplaisir, le collaborateur est vraiment dans l'expression de ce qui le satisfait ou non dans l’entreprise, et de son vécu.
Cette note est suivie tout au long du parcours du collaborateur, ce qui permet :
de repérer les points qui ne vont pas et se challenger pour les améliorer,
d'aller identifier des situations un petit peu particulières,
et de fournir des retours concrets aux managers pour qu'ils progressent.
Pour approfondir ce sujet de l’eNPS (Employee Net Promoter Score), vous pouvez écouter l'épisode avec Kevin Bourgeois de Supermood.
CLÉ N°4 - EMBAUCHER UN IMPACT MANAGER
En tant qu’entreprise à impact, depuis le début, Le Fourgon a toujours encouragé les initiatives personnelles des employés allant dans le sens du réemploi, pour limiter leur impact à l’échelle de la société. Grâce au fait qu’ils ont embauché des personnes qui étaient déjà personnellement dans cette dynamique, cela a permis l’émergence de nombreuses idées, dont certaines ont été adoptées au sein du Fourgon, comme :
l'utilisation de tupperwares en verre au lieu du plastique,
l’instauration de primes vélo,
et des réductions sur les produits Le Fourgon, etc.
Plus globalement, sur la partie mesure de l’impact de la société, ils ont :
Côté impact humain, ils sont en train de mettre en place des brigades de travailleurs en situation de handicap pour trier les bouteilles vides, embauchés en CDI, favorisant ainsi l’inclusion dans l'entreprise.
Toutes ces actions sont positives, mais elles restent assez ponctuelles et fragmentées, et ils voulaient aller plus loin. La solution, tout comme on investit dans un RH quand on a des enjeux d'hypercroissance, là il y a quelques mois ils ont embauché un impact manager pour gérer les enjeux d'impact. Il n’y a pas de mystères… pour qu'un sujet avance en interne, il doit être la responsabilité d'une personne. Avoir un leader dans ce domaine va donc permettre de coordonner et diriger ces efforts de manière plus significative.
Par exemple, tous les collaborateurs du Fourgon sont désormais formés à la fresque du climat, dans un souci d’éducation, pour faire grandir les gens sur ces sujets. La notion d'impact au niveau de chaque collaborateur est vraiment importante pour eux.
Il est important de souligner que le chemin vers plus de perfection s’est fait petit à petit, ils ont pu faire cette embauche car désormais ils en ont les moyens - sans pour autant arrêter l’hypercroissance. Bien sûr tout le monde est convaincu qu’avoir un impact manager, c’est mieux, mais c’est rarement réalisable dès le départ.
CLÉ N°5 - REFUSER DE CHOISIR ENTRE IMPACT ET HYPERCROISSANCE
Le dernier point est le cœur du sujet, et se résume à un choix : justement, refuser de faire le choix entre l'impact et l'hypercroissance, et choisir au contraire de mener les deux de front, même si c’est forcément plus compliqué et difficile. Une entreprise qui choisirait de se concentrer :
Uniquement sur l’hypercroissance, sans soucier de l’impact : elle risquerait de ressembler au modèle Uber avec des intérimaires, car c’est plus simple et plus souple. Mais du point de vue de l'impact et de l'engagement des employés - sans parler du côté employeur qui est assez horrible - le résultat est très mauvais.
Ou au contraire uniquement sur l’impact sans tenir compte de l'hypercroissance : cela risquerait d’être difficilement tenable sur le plan économique. Tout le monde aimerait avoir 60% de salaire en plus et 30% de temps de travail en moins ! Malheureusement la réalité du marché fait que ce n'est pas possible.
Trouver une solution pour concilier les deux est un choix difficile, qui nécessite de la créativité. Le choix a été fait de ne pas opter pour l'uberisation du métier - souvent la norme dans ce secteur d’activité : malgré la pénibilité du métier de livreur (il faut porter des caisses de bouteilles en verre), ils souhaitent vraiment que ceux-ci soient contents de venir travailler le matin. Pour cela, il faut leur donner un cadre de travail épanouissant :
Ils ont internalisé la fonction de recrutement, et proposent des CDI à la quasi-totalité de leurs collaborateurs. Ils peuvent ainsi avoir également un impact sur l'emploi qui est durable.
Même si l'entreprise a des attentes élevées pour ses employés en CDI - ce qui est normal - ils leur proposent aussi des perspectives d’évolution en interne, des formations pour qu’ils puissent développer leurs compétences. Les gens peuvent donc se projeter sur le long terme dans l’entreprise, avec bien sûr un salaire qui évolue. Par exemple, certains livreurs sont passés team leader, et sont maintenant responsables d'entrepôt.
Offrir des avantages sociaux : par exemple Le Fourgon offre la mutuelle à tous les employés.
Même si c’est plus long, plus engageant et donc plus risqué de recruter des CDI, ils y trouvent de nombreux avantages - notamment en période d’hypercroissance :
Avoir des gens qui appartiennent à l'entreprise développe l'esprit de corps, il y a plus d'engagement et moins de turnover. Cependant, cela nécessite de mettre en place des mécanismes pour repérer le désengagement ou la sous-performance.
Cela développe les compétences également, parce qu’une personne qui reste assez longtemps sera en zone de confort et en zone de compétences, et elle pourra former les gens qui vont arriver par la suite.
Les collaborateurs de l'entreprise étant formés et acculturés “à la sauce” Le Fourgon, cela garantit une excellente qualité de service vis-à-vis de leurs clients. Les livreurs arrivent avec leur uniforme, ils sont épanouis, souriants, avec un fort sentiment d'appartenance à l’entreprise : tout cela est ressenti par le client. L’impact est donc considérable. Pour Sophie, les livreurs sont les collaborateurs les plus importants, car les clients ne voient qu’eux.
Quand les gens évoluent en interne, déjà cela évite d’aller recruter en externe, et en plus ils sont plus rapidement opérationnels puisqu’ils sont déjà acculturés à l'entreprise.
Mais Sophie insiste : ce n'est pas le monde des bisounours ! Même si Le Fourgon vise l'impact, elle reste avant tout une entreprise, qui doit perdurer, et doit trouver un équilibre entre business et impact. Les collaborateurs doivent s’investir.
En conclusion :
Cette méthode est un chemin difficile, elle implique beaucoup d'efforts supplémentaires, l'entreprise s’engage à accompagner ses employés à travers les hauts mais aussi les bas.
Mais c'est leur ligne de conduite, ils tiennent à garder ce projet d’essayer au maximum d’avoir un impact écologique et humain qui soit le plus complet possible.
C’est plus dur… mais tellement plus gratifiant !
Vous pouvez contacter Sophie sur Linkedin
Ressources recommandées par Sophie :
Le livre L'entreprise du bonheur de Tony Hsieh
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